La créatrice Tory Burch et l’artiste Francesca DiMattio racontent leur collaboration
Dévoilée en février dernier, la collection automne-hiver 2020-2021 de la créatrice américaine Tory Burch proposait des pièces empreintes de féminité et de romantisme. Certaines créations étaient agrémentées par des imprimés floraux créés par l’artiste Francesca DiMattio, qui a également réalisé pour le défilé une série de sculptures présentes sur le défilé. Ensemble, les deux femmes reviennent sur leur collaboration.
Propos recueillis par Matthieu Jacquet.
En février dernier, la créatrice américaine Tory Burch dévoilait lors de la Fashion Week new-yorkaise une nouvelle collection empreinte de féminité et de romantisme. Dans la salle du défilé, onze sculptures étaient érigées tels des totems hybrides où, parmi leurs fleurs, tapis ou encore troncs d’arbres, on discernait des fragments de silhouettes féminines : ici, une poitrine voire un buste complet, là, les courbes de hanches… Entre anthropomorphisme et abstraction, les œuvres de Francesca DiMattio réalisées spécialement pour la présentation ont aussi inspiré cette nouvelle collection du label. L’artiste américaine a d’ailleurs créé pour la collection automne-hiver 2020-2021 une série d’imprimés floraux imitant la tradition de la peinture sur porcelaine, déclinés sur des longues robes et pantalons fluides, des vestes, des jupes, mais également des sacs et cuissardes en cuir coloré. Pour Numéro, Tory Burch et Francesca DiMattio reviennent chacune sur cette fructueuse collaboration.
Numéro : Comment vous êtes-vous rencontrées toutes les deux ?
Tory Burch : Cette collaboration est une histoire de longue date. J’ai découvert le travail de Francesca il y a des années et ai acheté une de ses pièces. J’ai tout de suite été sensible à la puissance et à la technique de son art, et nous avons en commun cet intérêt pour la porcelaine anglaise, française et turque.
Francesca DiMattio : J’ai rencontré Tory en 2012 par ma galeriste Jeanne Greenberg Rohatyn [fondatrice et propriétaire de la galerie new-yorkaise Salon 94]. Tory a acheté l’une de mes premières sculptures en céramique. Depuis, cela fait des années que nous réfléchissons à une manière de travailler ensemble.
Où vos identités respectives se sont-elles retrouvées ?
TB : Francesca reprend des détails traditionnellement féminins comme la vannerie et les perles des robes de mariée pour les incorporer dans ses sculptures hautes et imposantes. Sa pratique joue avec ces extrêmes et refuse de rentrer dans les catégories traditionnelles. J’ai toujours été inspirée dans l’histoire par les femmes artistes puissantes, celles qui n’avaient pas peur d’aller à l’encontre des conventions. À cet égard, le point de vue de Fransceca sur les femmes modernes et la féminité est rafraîchissant : comme elle le dit elle-même, son travail “imprègne le décoratif de force et de pouvoir”. Nous partageons par ailleurs une approche audacieuse de la couleur et un amour pour l’histoire de la porcelaine et de la poterie.
FDM : Je crois que Tory et moi cherchons toutes deux de nouvelles manière de réutiliser des techniques décoratives traditionnelles et historiques en vue de donner du pouvoir au féminin. Je me penche sur les matériaux de l’univers domestique – des tapis, vases, chandeliers – et modifie leur échelle et leurs proportions pour imprégner le féminin de force et de pouvoir. Tory a recouvert un costume classique d’un motif floral : en changeant les proportions et en compensant l’équilibre, elle accomplit ce même but.
Francesca, vos imprimés s’inspirent des peintures sur porcelaines d’époques et régions variées, de la Chine à la Turquie. Pourquoi teniez-vous à mettre en avant cette tradition ?
FDM : J’explore l’histoire des arts décoratifs et du monde domestique afin de comprendre et renverser ce que l’on assimile au féminin. Pour ces imprimés, j’ai peint version sur version de ces motifs sur porcelaine jusqu’à être capable de le faire de mémoire. La rapidité et la frénésie de mon pinceau portaient une force, une urgence que les peintures originales, plus polies et précises, n’avaient pas. Nous avons l’habitude de percevoir ces motifs floraux comme de petits accents dans une pièce, sur une tasse de thé ou un verre, mais jamais autour d’un corps. J’ai donc souhaité remplacer les adjectifs “joli” et “discret” par “imposant” et “fort”.
Comment ces imprimés ont-ils inspiré les modèles, les formes et l’atmosphère romantique de cette nouvelle collection ?
TB : Les imprimés de Francesca et nos silhouettes se sont rencontrés comme une évidence. Nous approchons le design depuis une même position, jouant avec l’ancien et le nouveau, le masculin et le féminin.
En tant que créatrices cherchant toutes deux à interroger la féminité, son histoire et ses codes, comment définiriez-vous la femme contemporaine ?
FDM : La femme contemporaine a plus de rôles que jamais. J’en suis au milieu de ma vie et c’est peut-être le moment le plus rempli… Le moment où l’on essaie d’équilibrer le travail, vie de famille et du foyer. Bien qu’elles soient plus abstraites, toutes mes sculptures reflètent l’absurdité de cette recherche d’équilibre. Certaines des figures féminines que je sculpte se dissolvent dans une botte, d’autres sont incrustées de fleurs ou deviennent un tapis…
TB : Les femmes modernes ne peuvent pas être définies simplement. Cela dépend de chaque femme. Aujourd’hui, nous nous définissons nous-mêmes plutôt de s’enfermer dans des catégories ou des attentes. Mais toutes les femmes souhaitent se sentir confiantes et puissantes.