Avec “Al Musiqa”, le monde arabe s’installe à la Philharmonie de Paris
Vastes déserts, chronologie démesurée et mélopées de voyageurs orientaux… Jusqu’au 19 août, la Philharmonie de Paris retrace une grande partie de la culture musicale du monde arabe avec Al Musiqa, une exposition ambitieuse à la scénographie soignée.
Par Alexis Thibault.
L’intense battement d’une darbouka, les chants étincelants des nomades du désert, la voix claire d’un muezzin qui invite les fidèles à prier… Le temps d’une exposition, jusqu’au 19 août, la Philharmonie de Paris célèbre les contrées d’Orient et d’Afrique du Nord. Al Musiqa – Voix et musiques du monde arabe s’étend sur plus de quinze siècles et un vaste territoire qui effraierait les voyageurs les plus tenaces. Pour cette première exposition d’envergure en France sur les musiques du monde arabe, la Philharmonie interroge les rapports entre lyrisme ancestral, Islam, identité culturelle et création contemporaine. Et si l’expression “monde arabe” fait rarement consensus, Al Musiqa se permet d’ériger des frontières historiques, du Maghreb à la Syrie. Car ce “monde arabe” s’ouvre à mille et un peuples et se pare des influences perses, turques, berbères et asiatiques. Rien d’étonnant donc à évoquer successivement Zyriab (789-857), le père de la musique arabo-andalouse né dans un village kurde de Mossoul (Irak), et Bilal ibn Rabâh, compagnon de Mahomet né à La Mecque (Arabie saoudite).
Autrefois, cette culture musicale était controversée, susceptible de détourner le croyant d’un fervent attachement à Dieu.
Instruments de musique, calligraphies, peintures, photographies, installations et affiches de cinéma… Al Musiqa rend hommage à une culture dont la langue est la figure de proue. Une langue inévitablement liée à la musique. Un lyrisme dont les qaynats, esclaves-musiciennes venues de Perse ou d’Éthiopie, sont les principales ambassadrices. D’ailleurs, certaines deviendront célèbres, profitant de l’ère prospère qui atteint Médine (Arabie saoudite) à la naissance de l’islam. Joyau des peuples nomades, le chant accompagne également les chameliers. Car leur huda (chant des nomades) ne les quitte jamais et adopte une pulsation singulière : celle de la caravane. Mais si la musique est si intimement liée au monde arabe au point de faire l’objet d’une exposition, c’est parce qu’elle “cohabite” avec une spiritualité omniprésente. Malgré le lien étroit qui l’unit à l’islam, dont les fêtes religieuses sont toujours accompagnées de chants mélodieux, la musique a autrefois fait l’objet d’une controverse. Elle était susceptible de détourner le croyant d’un fervent attachement à Dieu. Et les instruments auraient évoqué les rites polythéistes. Alors, plutôt que d’être prohibée, la musique sera spiritualisée.
D’une grande métropole à un café de Barbès, Al Musiqa démontre que cette culture est plurielle et protéiforme. Une immersion au cœur des zaouïas africaines (édifices religieux musulmans) ou des cinémas égyptiens, divertissement phare du monde oriental. Une plongée d’autant plus dépaysante qu’elle est servie par la scénographie rigoureuse de Matali Crasset : “Mon expérience la plus intense avec la culture arabe est liée au projet d’hôtel que j’ai réalisé à Nefta, au bord du désert tunisien. Un haut lieu du soufisme [une tendance mystique de l’islam sunnite]. Mes visites m’ont permis de découvrir la musique soufie dont le rythme hypnotique fait écho à certaines musiques électroniques.”
Al Musiqa – Voix et musiques du monde arabe, jusqu’au 19 août à la Philharmonie de Paris, Paris XIXe.