Les confessions déjantées du groupe de rock culte MGMT
Révélé en 2007 avec le miraculeux Oracular Spectacular, le duo de rock et de pop psychédélique américain MGMT, formé par Ben Goldwasser et Andrew VanWyngarden, revient avec un album vivifiant, célébrant l’amour et le changement : Loss of Life. L’occasion de discuter avec deux musiciens aussi inspirés que barrés.
propos recueillis par Violaine Schütz.
« Faisons de la musique, gagnons de l’argent. Épousons des mannequins. Je vais déménager à Paris, prendre de l’héroïne et coucher avec des stars », clamait avec morgue et ironie le groupe américain flamboyant et baroque MGMT dans son tube Time to Pretend (2008).
Quelques années plus tard, la prophétie semble s’être réalisée pour le duo composé de Ben Goldwasser et d’Andrew VanWyngarden auquel on doit le fabuleux disque Oracular Spectacular (2007). Andrew VanWyngarden peut se targuer d’avoir fréquenté Camille Rowe, Zoë Kravitz et Andreea Diaconu. Et l’argent et la drogue ont dû couler à flot.
De Kids à Little Dark Age, la folle ascension de MGMT
Groupe de rock et de pop psychédélique culte des années 2000 et formation phare de l’esthétique indie sleaze, MGMT a aussi crée quelques uns des hymnes les plus fédérateurs de ces deux dernières décennies : Kids (2007), Electric Feel (2007), Time to Pretend (2008). Mais loin de se reposer sur ses acquis (une capacité à accoucher de mélodies accrocheuses sonnant comme des classiques instantanés), le duo a réussi à se réinventer radicalement avec des titres comme le très sombre et 80’s Little Dark Age (2018) qui malgré son aura gothique a séduit la génération TikTok.
Alors que MGMT vient de sortir un cinquième album brillant et très pop, Loss of Life, qui parle d’amour et de changement avec autant d’euphorie que de mélancolie, on a discuté – via Zoom – avec les deux musiciens de cartes de tarot, de Saltburn et de leur méfiance envers les réseaux sociaux.
L’interview du groupe MGMT sur l’album Loss of Life
Numéro : Pourquoi avoir choisi d’appeler cet album Loss of Life ?
Andrew VanWyngarden de MGMT : L’expression Loss of Life (« perte de vie ») n’est pas à prendre dans le sens d’une mort physique. Cela ressemble plus à l’interprétation de la carte de la mort dans le tarot. Pour nous, l’idée de la « perte de vie » est davantage une question de changement majeur que de fin. Il peut s’agir d’un changement face auquel vous devez accepter qu’une existence antérieure ne sera plus possible. Même une expérience positive comme celle d’avoir un enfant peut conduire à pleurer ces anciennes vies que vous ne vivrez plus. Ce disque parle d’amour et de changement.
Dans le texte accompagnant votre album, vous citez le film Nuits blanches à Seattle (1993) en influence… Faut-il voir votre disque comme une comédie romantique ?
Andrew VanWyngarden de MGMT : Je ne me souviens pas d’où vient cette histoire de Nuits blanches à Seattle (rires). On voulait trouver une équation pour décrire notre album. On parle aussi du Gai Savoir de Nietzsche et de Scott Stapp (le chanteur du groupe américain Creed) dans ce texte. On essayait juste de dire, d’une manière un peu effrontée, que l’on a abordé ce disque avec des intentions saines et sincères. Nous voulions être directs comme quelqu’un qui reviendrait en ne se sentant pas nécessairement bien, mais en ayant le sentiment d’avoir tout donné. Un peu comme une étreinte amoureuse, un geste de camaraderie humaine ou quelque chose en rapport avec la peur et les drames existentiels. Nuits blanches à Seattle est une comédie romantique feel good mais dans le texte accompagnant l’album, on précise que notre disque ressemble à Nuits blanches à Seattle filmé par Paul Schrader, et non par Nora Ephron, ce qui induit un côté plus brut. Nous ne cherchons pas à enrober les choses de sucre. Nous n’avons pas tenté de faire un disque de pop bubblegum, mais nous faisons toujours des chansons pop. Nous sommes pétris de paradoxes, je suppose.
L’un de vos tubes s’appelle Time to Pretend. Est-ce que ce nouveau disque aurait pu s’intituler Time to be honest ?
Ben Goldwasser de MGMT : (rires) Euh, oui. C’est drôle parce que je pense que nous avons fait un effort conscient pour paraître plus sincères sur cet album, mais il y a aussi une certaine part d’humour là-dedans. Nous sommes un groupe qui existe depuis une vingtaine d’années et nous avons tous les deux eu 40 ans. Et j’ai l’impression que c’est un peu comme un commentaire méta sur la création de musique pour adultes. Il y a toujours eu un peu d’ironie dans nos paroles.
« Nous avons l’impression de déjà vivre déjà dans une hallucination contrôlée par l’IA. » Andrew VanWyngarden de MGMT
Certaines de vos chansons sont devenues virales sur TikTok. C’est assez ironique lorsque l’on sait que dans de nombreux morceaux, vous critiquez les réseaux sociaux et les nouvelles technologies…
Andrew VanWyngarden de MGMT : Pour moi, la plus grande ironie, en dehors des paroles, c’est que nous n’utilisons même pas les réseaux sociaux. Nous n’y faisons pas notre promotion et nous sommes assez dégoûtés par de nombreux genres d’auto-promotion qui sont devenus monnaie courante de nos jours. Quant aux paroles, Little Dark Age, par exemple, parle de l’anxiété et de la paranoïa induites par la technologie, de la honte publique et du fait que des personnes deviennent canceled. Avec son succès sur les réseaux sociaux, c’est comme si on était plongé dans ce monde sans même que nous fassions quoi que ce soit pour l’être. Nous avons l’impression de déjà vivre déjà dans une hallucination contrôlée par l’IA ou quelque chose du genre. C’est une réalité très étrange dans laquelle vivre et j’ai entendu de nombreux spécialistes de l’IA dire que c’est ainsi que se déroule la transition. Ce n’est pas comme s’il allait y avoir une bataille apocalyptique entre les humains et l’IA, comme cela se produit dans la science-fiction. C’est plutôt comme si les choses devenaient de plus en plus étranges, au fur et à mesure. Et puis un jour, vous vous réveillez et une IA dirige le monde. J’ai l’impression que c’est déjà arrivé. On a un peu le sentiment d’être immergés dans le film Les Crimes du Futur de David Cronenberg.
Votre chanson Time to Pretend a rencontré le succès sur TikTok après avoir été utilisée dans le film Saltburn. Avez-vous vu le long-métrage ?
Ben Goldwasser de MGMT : Je ne l’ai pas encore vu parce que ma femme l’a déjà regardé et c’est généralement avec elle que je vois des films. Ça ressemble à un objet bizarre mais je ne sais pas si j’ai envie de m’asseoir et de le regarder tout seul.
Andrew VanWyngarden de MGMT : Moi je l’ai vu et j’ai aimé la façon dont ça mélangeait le sexe, la mort de manière odieuse, un peu comme chez le Marquis de Sade et George Bataille. L’histoire se déroule dans les années 2000 et l’utilisation de notre chanson m’a semblé géniale. Mais l’évolution du film était too much pour moi. Ce n’était ni subtil ni surprenant. Mais en même temps, je suis vraiment étonné qu’un film comme celui-là soit devenu un moment de culture pop aussi commenté. Je trouve que c’est plutôt cool.
Au début de votre album, sur Loss of Life (part 2), on entend un grésillement qui ressemble à celui d’une platine de vinyles. Est-ce un message subliminal contre le streaming ?
Ben Goldwasser de MGMT : Je ne sais pas si nous avons vraiment un commentaire à faire à ce sujet, mais cela semble vraiment étrange de diffuser de la musique à une époque où il y a déjà tellement de choses disponibles. Et cela semble tout aussi étrange de s’attendre à ce que les gens prêtent attention à une nouveauté que vous avez enregistrée alors qu’il y a tant de choses à écouter. C’est écrasant pour nous. J’apprécie le nombre d’options disponibles et l’accessibilité permise par le streaming, mais c’est aussi un peu trop pour nous. En général, nous essayons de nous concentrer davantage sur la musique que nous créons et sur le fait d’imaginer quelque chose sans penser à la manière dont cela s’intègrera dans ce monde. Nous essayons simplement de faire exister cette musique. Et c’est une approche que nous avons depuis toujours. Nous avons vu des chansons que nous avions faites des années auparavant et auxquelles personne n’avait prêté attention, devenir soudainement plus populaires. Nous devons simplement faire confiance au temps qui passe et ne pas trop nous soucier de la façon dont nous nous inscrivons dans le paysage de la musique commerciale.
« Je pense que Christine and the Queens est quelqu’un qui ressent beaucoup de choses et qui est confronté à beaucoup de choses difficiles à traiter. » Ben Goldwasser de MGMT
Pourquoi avoir choisi Christine and the Queens pour chanter sur votre single Dancing in Babylon ?
Ben Goldwasser de MGMT : Je pense que Chris est quelqu’un qui ressent beaucoup de choses et qui est confronté à beaucoup de choses difficiles à traiter ou auxquelles il est difficile de penser. Et c’est une chose à laquelle nous nous sommes identifiés. Travailler avec Chris, c’est en quelque sorte être submergé par l’ampleur et la réalité de tout ce qui nous entoure et essayer de leur donner un sens. Cela transparaît dans la musique de Chris et c’est quelque chose que nous essayions de faire entendre aussi dans cet album.
Andrew VanWyngarden de MGMT : Avec Chris, en tant qu’artistes, nous partageons une connaissance et un amour profond pour la musique pop des années 80 et 90. Beaucoup des chansons que nous aimons sont vraiment étranges mais elles font désormais partie des canons de la pop culture. En écoutant certains tubes des 80’s, vous pouvez avoir l’impression que ce sont des chansons pop stupides et sucrées mais elles ne le sont pas. Ben et moi avons tous les deux commencé à faire de la musique à l’université en écoutant et en reprenant de nombreux morceaux des Talking Heads. Les titres des Talking Heads sont incroyablement entraînants et restent coincés dans votre tête. Ils sont pop et ont des refrains qui se retiennent. Mais ce sont des chansons vraiment décalées et bizarres, au fond. Et les paroles peuvent être impénétrables. Mais c’est ça la magie : ces morceaux arrivent à se connecter avec des millions de personnes. Avec Chris, nous apprécions ce genre de chansons…
La pochette de votre album, sur laquelle on voit deux personnages et un cheval, a-t-elle été créée par une IA ?
Andrew VanWyngarden de MGMT : Non, c’est une œuvre de l’artiste américain John Baldessari. J’ai découvert cette image particulière dans un livre. Et quelque chose a résonné en moi et m’a frappé. Je l’ai envoyée à Ben et nous avons tous les deux pensé que ce serait une bonne couverture d’album. Nous ne savions pas vraiment pourquoi, car ce n’est pas la cover la plus attrayante du monde. Non pas que nous soyons connus pour nos pochettes d’albums attrayantes, mais c’est un peu étrange. On ne sait pas immédiatement ce que cela a à voir avec la musique. Nous étions nous-mêmes attirés par cette œuvre sans en connaître les raisons. Et puis, plus nous avancions et terminions l’album, plus nous nous concentrions vraiment sur les thèmes du disque. Et cela a commencé à avoir plus de sens. C’est en quelque sorte une pièce de théâtre. Sur la pochette de notre premier album, il y a deux personnages, tout comme sur la pochette de notre troisième album. Et nous avons en quelque sorte alterné photo et illustration pour nos pochettes d’albums. Or cette image est justement une combinaison d’une photo et d’une illustration. Et puis le personnage de gauche monte à cheval dans la même position corporelle que celle dans laquelle se trouve la carte de la mort du tarot. C’est aussi un cheval de carrousel, comme le cycle circulaire de la vie. Il y a donc toutes ces choses qui sont tombées sous le sens d’une manière étrange.
« Nous avons une faible tolérance vis-à-vis des conneries dans la musique et dans l’art. » Ben Goldwasser de MGMT
Vous avez fondé le groupe en 2002. Qu’est-ce qui a changé depuis vos débuts ?
Ben Goldwasser de MGMT : Je pense que nous sommes devenus moins obsédés par certaines choses. Nous faisons toujours attention aux petits détails lorsque nous travaillons sur notre musique. Mais nous avons peut-être appris à nous arrêter avant de surcharger une chanson. Sur cet album, nous avons apporté des changements assez importants juste avant le mixage comme des modifications de structure, des ajouts de parties ou des suppressions d’arrangements. Et nous étions plutôt à l’aise avec ça. Ou peut-être simplement que nous nous faisons plus confiance sur le moment.
Andrew VanWyngarden de MGMT : Nous avons toujours eu tendance à avoir beaucoup de pensées, d’idées et même d’approches différentes en studio, mais après des décennies de travail ensemble, je pense que nous avons trouvé un moyen de suivre le bon rythme. On ne fait pas consciemment des compromis pour essayer de rendre l’autre personne heureux. Nous comprenons comment chacun de nous fonctionne.
Comment expliquez-vous que vous soyez toujours ensemble après tant d’années ?
Ben Goldwasser de MGMT : C’est difficile à dire. Je ne pense pas vraiment qu’il y ait de formule. Nous avons passé beaucoup de temps ensemble et nous avons une appréciation commune de la musique : nous essayons d’aller à la racine des choses. Nous avons surtout une faible tolérance vis-à-vis des conneries dans la musique et dans l’art. Lorsque nous créons quelque chose, nous voulons nous connecter à la musique que nous imaginons. Nous voulons être un groupe avec lequel les autres peuvent ressentir un lien émotionnel fort. C’est une priorité pour nous dans la création musicale.
Andrew VanWyngarden de MGMT : Oui, nous ne nous sommes jamais réunis pour faire de la musique en essayant de concevoir quelque chose qui serait aussi populaire que possible. Je sais que cela semble peut-être idéalisé mais je pense que c’est plutôt vrai. Nous ne permettrons pas à l’un de nous deux d’apporter quelque chose qui, selon nous, n’est pas une intention véritable ou authentique dans la musique que nous faisons. Nous possédons un détecteur naturel de conneries.
Loss of Life (2024) de MGMT, disponible.