Takashi Murakami : pourquoi cette œuvre scandaleuse a fait exploser les enchères
Le 14 mai 2008, la sculpture My Lonesome Cowboy de Takashi Murakami est adjugée 15 millions de dollars aux enchères, record impressionnant qui couronne une superstar de l’art contemporain. Retour sur l’histoire de cette œuvre scandaleuse et historique.
Par Matthieu Jacquet.
My Lonesome Cowboy : l’œuvre de Takashi Murakami la plus chère à ce jour
C’est un bien étrange cow-boy qui se présente sous nos yeux. En lieu et place du chapeau Stetson emblématique, des visages barbus et du regard grave des héros des westerns, on découvre une chevelure hirsute couleur jaune poussin encadrant un visage jovial, imberbe et juvénile à l’effigie d’un personnage de manga.
Exit les pantalons en denim, bottes et jambières, les chemise à carreaux et autre gilets en peau de bête, le corps frêle se dévoile ici nu comme un ver. Et surtout, à la place du lasso, accessoire fétiche des cavaliers du Far West, un long jet de sperme gicle de son pénis en érection, et dessine dans les airs la boucle de la fameuse corde utilisée pour capturer sa proie.
Intitulée My Lonesome Cowboy et réalisée en 1998, cette sculpture à taille humaine pour le moins provocante est l’une des œuvres les plus célèbres de l’artiste Takashi Murakami. Le 14 mai 2008, lors d’une vente aux enchères chez Sotheby’s New York, elle sera en effet adjugée 15,2 millions de dollars – soit 14,5 millions d’euros –, devenant l’œuvre la plus chère du Japonais à ce jour. Et finira d’acter son statut de superstar de l’art contemporain.
Haut de 2,5 mètres, sculpté en résine et fibre de verre avant d’être peint à l’huile et acrylique, ce scandaleux cow-boy en pleine masturbation regroupe déjà nombre des grands principes de Takashi Murakami et du mouvement artistique Superflat, qu’il fondera quelques années plus tard.
Que leur support soit la peinture, la sculpture ou la vidéo, les œuvres figuratives doivent être faite de lignes simples et d’aplats de couleurs vives, souligner la bidimensionnalité des formes, et croiser les codes publicitaires et la culture populaire avec l’esthétique des films d’animation japonais. Une forme de néo pop art nippon, en somme, qui n’a pas peur de s’approprier ces canons pour les subvertir et critiquer avec un humour grinçant la société de consommation.
Du film d’animation japonaise à Andy Warhol, une sculpture aux confins de l’Orient et l’Occident
“Avec cette œuvre, j’ai voulu combiner le Japon d’après-guerre et la culture otaku”, résumait Murakami il y a quelques années dans une vidéo pour le musée Guggenheim de Bilbao. En japonais, le mot otaku désigne précisément ces fans de mangas, de jeux vidéos et esthétique kawaii, dont l’obsession est telle qu’elle finit par les isoler socialement.
Ici, l’innocence pudique de l’animation japonaise pour enfants cède la place à la représentation d’une sexualité crue et obscène, voire offensive, qui s’approche plutôt des hentai, films pornographiques d’animation japonaise. My Lonesome Cowboy est d’ailleurs le pendant masculin de Hiropon, sculpture similaire d’une jeune fille dénudée à la poitrine généreuse dont les seins libèrent deux jets de lait qui forment autour d’elle une corde à sauter.
À l’époque, Murakami s’intéresse en effet tout particulièrement à l’imaginaire sexuel de ses compatriotes, et imagine cette série d’œuvres hypersexualisées autour des fluides corporels. En atteste également l’immense toile Cream (1998), où un aplat bleu ciel se retrouve maculé d’un suggestif liquide rosé.
Takashi Murakami le précise : les œuvres My Lonesome Cowboy et Hiropon sont celles qui lui ont permis d’être accepté par les Américains. Sans doute car celles-ci opèrent une synthèse des cultures asiatique et occidentale, qui irriguent l’imaginaire de l’artiste. Au-delà du Japon, le jeune cow-boy blond fait en effet référence aux satyres, créatures hybrides lubriques, et au dieu de la fertilité Priape issus de la mythologie grecque – tous deux sont en effet souvent représentés avec un phallus dressé et hypertrophié.
Mais Takashi Murakami y cite plus explicitement l’un de ses grands modèles : Andy Warhol. En 1968, le père du pop art réalisait avec Paul Morrissey Lonesome Cowboys, une parodie de western suivant les aventures de cinq cow-boys homosexuels qui a particulièrement inspiré l’artiste originaire de Tokyo. Takashi Murakami recevra rapidement le surnom de “Andy Warhol japonais” : il n’y a pas de hasard.
Chez Sotheby’s, la consécration d’une star de l’art contemporain
En mai 2008, dix ans après la création de My Lonesome Cowboy, le nom de Takashi Murakami est sur toutes les lèvres : l’artiste et chef d’entreprise déploie alors à Tokyo un empire porté par ses dizaines de salariés, partagé entre la production presque industrielle de son œuvre pluridisciplinaire – peinture, films, produits dérivés, collaborations diverses… – et l’activité de sa galerie Kaikai Kiki, qui défend la jeune scène artistique japonaise.
Il vient d’inaugurer sa plus grande rétrospective au MACA de Los Angeles, qui voyagera par la suite à New York, Francfort et Bilbao, d’intégrer le prestigieux classement du magazine TIME, parmi les cent personnalités les plus importantes de l’année, et dévoile des collaborations à succès avec Louis Vuitton et Supreme. Un contexte très favorable pour l’apparition d’une sculpture aussi provocante lors d’une vente aux enchères.
Estimée entre 3 et 4 millions de dollars, My Lonesome Cowboy sera finalement adjugée trois fois son estimation, un montant d’autant plus surprenant que l’œuvre n’est pas unique et existe en quatre exemplaires, dont un a été acquis par le collectionneur François Pinault. Malgré ce record, Murakami reste placide : “Cette œuvre n’a pas de sens ou de signification particulière”. Mais n’en reste pas moins à l’image de son époque.
Lire le portrait de Takashi Murakami dans le Numéro Homme 46.
“Takashi Murakami. Understanding the New Cognitive Domain”, jusqu’au 22 décembre 2024 à la galerie Gagosian, Le Bourget.
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