Les artistes de demain sont aux Arts-Déco : rencontre avec Nàto Bosc, céramiste
Les élèves de l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs se sont confiés à Numéro, entre craintes et rêves. Rencontre avec Nàto Bosc, l’étudiant qui transforme, entre autres, la céramique en objet érotique.
Nàto Bosc se fait intercepter entre deux sessions de travail. À 21 ans, cet hyperactif possède déjà la grâce d’un Saint Laurent. Et depuis longtemps, il ne compte plus ses heures. Élève de première année à l'École nationale supérieure des Arts Décoratifs, son discernement et sa maturité sautent immédiatement aux yeux malgré son débit de parole impressionnant. Avant d’étudier la gravure et la sculpture, il a validé un BTS communication avant d’intégrer une prépa d’art. Créateur engagé, il a grandi en Guadeloupe et à Marseille, d’ailleurs c’est principalement de son enfance et de son identité qu’il s’inspire. Une fois n’est pas coutume, il vante comme ses camarades l’aspect “pluri-disciplinaire” de l’EnsAD qui lui permet “d’effectuer un travail de qualité tout en ayant déjà un pied dans le monde professionnel”.
Fils d’une décoratrice d’intérieur “qui coud pour les petits” et d’un professeur d'université, ce Parisien d’adoption est toujours amoureux de la cité phocéenne, source d’inspiration intarissable. Bien conscient d’avoir grandi dans un milieu privilégié, il réfute tout déterminisme : “Le fait d’être entouré de personnes issues de l’Éducation nationale et de la création ne détermine pas grand chose. Mais cela ouvre l’esprit, suscite des questionnements et c’est le plus important dans l’art finalement : s’interroger sur son environnement”.
Au sein des écoles d’art, la plupart des élèves cherchent à s’affranchir de toute contrainte. Ils les affrontent par la suite de façon inéluctable. Nàto, lui, préfère fonder son travail sur la contrainte pour mieux s’en libérer : “C’est ça la vie d’un créatif : faire émerger nos centres d’intérêts à partir d’une contrainte, faire surgir nos préoccupations et nos histoires personnelles. La contrainte crée notre signature”, s’enthousiasme-t-il, citant volontiers l’architecte italien Gio Ponti, dont l’empreinte artistique transpire à travers ses dessins, ses chaises, ses bâtiments et ses céramiques.
La céramique, justement, il en fait son matériel de prédilection. Un matériau plus malléable que le métal et la pierre voire “aussi souple que le cuir”. Dans sa série Empreintes, Nàto Bosc transforme la céramique en objet érotique. Pour suggérer la pression amoureuse d’une main sur une hanche féminine il laisse l’empreinte de ses phalanges dans l’objet, matérialisant ainsi le toucher. Et l’artiste de préciser : “Empoigner le vase évoque quelqu’un qui nous a pris par la taille avant de s’en aller… Le contact devient littéralement la forme de l’objet, s’exclame-t-il. Il prend alors l’exemple d’un vestiaire: “Un sac sans motif ne pourrait-il pas simplement exister par cette pression ? Quand quelqu’un nous prend dans ses bras, le plus intéressant n’est-il pas la marque laissée par les bras sur le blouson ?”
Nàto aborde une problématique bien plus sensible avec le projet artistique qu’il mène tout au long de l’année à l’EnsAD. Retour en enfance, en Guadeloupe, avec une série d’installations composées de coquillages en céramique. Idéalisé, sublimé, sur les plages antillaises paradisiaques, le coquillage était en mai 1967 le seul moyen de défense des manifestants guadeloupéens contre les carabines des policiers. En effet, un an avant le grand mouvement social de mai 68 qui a embrasé l’hexagone, de nombreuses manifestations ouvrières ont été réprimées dans le sang en Guadeloupe, département et région d’outre-mer français. Un millier d’ouvriers du bâtiment protestent et réclament une augmentation salariale. Mais les négociations syndicales n’aboutissent pas. La police intervient violemment.
Son travail est également photographique. Nàto immortalise différents édifices érigés en France par des esclaves, faisant naître un parallèle explicite entre les ports du Havre et de Pointe-à-Pitre. Et c’est par la gravure qu’il évoque la notion de contraste : “Le papier utilisé lors d’une gravure est capable de tenir sept à huit siècles sans être altéré ou détruit. J’aime la pérennité de ce support, un véritable témoignage de la stagnation de la situation.”
Lorsque l’on évoque son avenir, Nàto fait à nouveau preuve d’une implacable lucidité: “J’exprime exactement tout ce que je souhaite exprimer. L’argent n’est pas central. Être aux Arts-décos est une forme d’assurance, je peux gagner ma vie tout en prenant le risque d’expérimenter, et c’est à nous de saisir cette opportunité, aller au-delà du réseau et des compétences réelles acquises grâce à l’école.” Car ce que cherche Nàto, c’est simplement la légitimité de se définir en tant qu’artiste. Ses deux projets – l’héritage antillais et l’empreinte érotique – l’étudiant les a présenté au concours d’entrée à l’EnsAD, il les poursuit tout au long de l’année.