21
21
Le jour où Jay-Z et Beyoncé ont tourné un clip au Louvre
Alors que le Louvre vient d’être cambriolé, retour sur le moment où Jay-Z et Beyoncé ont allié leurs forces sur un disque surprise surpuissant, mégalo et rageur, accompagné d’un clip hautement symbolique tourné dans ce musée.
par Violaine Schütz.

Beyoncé et Jay-Z, œuvres d’art vivantes dans le clip Apeshit
Qui peut aujourd’hui se payer le luxe d’un clip tourné au Louvre ? C’est pourtant dans ce décor mythique que le monde entier nous envie (et qui grâce au couple royal du hip-hop, est encore plus plébiscité) que Jay-Z et Beyoncé ont filmé le clip du morceau Apeshit en 2018. Ils auraient déboursé entre 15 000 et 20 000 euros pour occuper l’espace les 31 mai et 1er juin 2018.
Dans cette vidéo accompagnant la sortie de leur album surprise, Everything Is Love (2018), on les voit déambuler devant les chefs-d’œuvre comme s’ils se trouvaient dans leur propre maison. Et ils n’ont pas choisi les tableaux et sculptures qui servent de fond à leurs aventures au hasard. Le Portrait d’une femme noire (1800) de Marie-Guillemine Benoist montré en gros plan est l’une des rares toiles peintes par une femme au Louvre et représentant une personne de couleur. Le couple pose devant La Joconde comme pour montrer qu’ils sont aussi iconiques que Monna Lisa. Et aussi géniaux/mégalos que De Vinci ?
Les danseurs noirs se meuvent dans des postures d’opposition devant des œuvres montrant principalement des hommes blancs (Le Sacre de Napoléon de Jacques-Louis David, 1807) ; et la politique coloniale de Napoléon au XIXe siècle est remise à sa place en un mouvement du bassin par une Beyoncé trônant, sculpturale, juste en dessous de lui.
Le couple s’empare du Louvre
Créant du contraste face à des images immobiles, Queen Bey danse en exultant toute sa puissance dans des vêtements et bijoux exubérants (comme un tailleur Peter Pilotto mauve ou une robe Versace) devant une Vénus de Milo ou une Victoire de Samothrace qui paraissent presque fade par rapport à elle.
Une façon de signifier que les Carters font partie de l’histoire et qu’ils sont eux-mêmes des œuvres d’art vivantes. Mais aussi de rappeler l’ensemble du chemin parcouru à une histoire de l’art occidental qui laissait très peu de visibilité aux corps noirs. Comme le rappe le couple sur Apeshit : “I can’t believe we made it” (“Je n’arrive pas à croire que nous ayons réussi à arriver là”).

Une pochette symbolique
La pochette d’Everything Is Love ne montre ni Jay-Z ni Beyoncé, mais un homme et une femme qui semblent les représenter, posant humblement devant La Joconde. La jeune fille rase la coupe afro de l’homme tatoué (une revanche sur les infidélités de Jay-Z?) comme si c’était elle qui portait la culotte. Et sur ce disque, c’est bien Queen Bey qui mène le flow, rappant presque mieux que son mari et rappelant à Nicki Minaj et Cardi B qu’elle aussi maîtrise ce parler-chanter rageur à la perfection.
La femme de la pochette porte aussi un ensemble couleur chair qui fait penser aux collections Yeezy de Kanye West portées par Kim Kardashian. Faut-il y déceler un clin d’œil à Kanye West, avec lequel Jay a enregistré tout un album – le baroque Watch the Throne – ? Qu’on se le dise, Jay-Z et Queen Bey sont toujours dans le game et font même partie des meilleurs joueurs. Les prods léchées et inventives ainsi que les punchlines salées des Carters n’ont rien à envier aux pointures (Pusha T, Childish Gambino, Drake, Kendrick Lamar). Les featurings classes (Dave Sitek, Pharrell Williams, Migos), les relents trap – le tempo du moment – et les mélodies faisant la part belle à la mélancolie les installe définitivement comme les Lennon-Ono du rap.

Les Carters, des rois du storytelling
Le power couple fait front, uni, sur l’album Everything is Love comme pour acter sa réconciliation après le déballage que chacun a fait de ses problèmes de couple sur son précédent disque (respectivement Lemonade et 4:44). Des débuts de leur relation à leur quotidien en passant par les disputes et les tromperies, les morceaux Boss, 713, Friends et Lovehappy donnent un aperçu détaillé et romancé de la vie intime des Carters. On y entend : “Tu peux t’estimer heureux que je ne t’ai pas tué quand j’ai rencontré cette s….e.”, “On a dû se remarier, (…), on a dû se séparer et se remettre ensemble” ou “on est allés en enfer avec le paradis de notre côté”.
Il est encore question de difficultés ainsi que de frustration quand Jay-Z évoque l’industrie du disque. Celui qui a sorti l’album sur son propre label, Tidal, raconte sur Apeshit avoir refusé le Super Bowl. “You need me, I don’t need you” (“Vous avez besoin de moi, je n’ai pas besoin de vous”) rappe t-il, vengeur, contre un milieu qui n’a pas toujours été tendre avec l’un de ses maillons forts.
Everything is Love (2018) des Carters, disponible.