Qui est Leikeli47, la jeune rappeuse américaine photograhiée par Hedi Slimane ?
Avec son dernier album Acrylic (2018), une plongée dans les salons de beauté afro-américains de son quartier, la rappeuse originaire de Brooklyn, adoubée par Rihanna, Jay-Z et Pharrell Williams, a conquis les amateurs de hip-hop avec son flow énergique et ses rythmes aux accents caribéens. À l’heure où son beau visage cagoulé a été choisi par Hedi Slimane pour apparaître dans la nouvelle série Portrait of a Musician de la maison Celine, rencontre avec une étoile montante du hip-hop américain, dont on attend le troisième album Shape Up le 15 avril.
Par Chloé Bergeret.
Personne ne connaît son visage, masqué depuis toujours par un bandana. Pourtant sa musique, un mélange de rythmes électro, de dancehall jamaïcain et de rap volcanique, est parfaitement reconnaissable. Son single Money (2017), aussi puissant et fier qu’elle, n’a pas fini de faire danser les foules. Mais la rappeuse de Brooklyn, Leikeli47 reste mystérieuse : elle garde sa vie secrète, ne s’affiche pas sur les réseaux et ne donne jamais son vrai nom, ni son âge. Heureusement, elle se dévoile avec une sincérité déconcertante dans ses textes puissants et éclectiques. Avec trois EP, Leikeli47 (2015), Pick A Color – Acrylic (2018) et Design – Acrylic (2018) et deux albums en poche, Wash & Set (2017) et Acrylic, Leikeli47 ne compte pas s’arrêter là. Elle veut devenir la meilleure, « une mega mega star » , et pour cela, elle travaille sans cesse. À l’heure où son visage cagoulé s’affiche sur une superbe série en noir et blanc photographiée par Hedi Slimane pour la maison Celine, rencontre avec une étoile montante du hip-hop américain, pour qui la musique et la création sont une nécessité.
Son regard saisissant et perce à travers les découpes de son bandana, qu’elle n’a pas quitté, même durant son shooting avec Celine. On lit plusieurs choses dans les yeux de Leikeli47 photographiée par Hedi Slimane : de la fierté, de la puissance et de la détermination, mais aussi une grande soif de connaissance et de rencontre humaine. Vêtue d’un survêtement en velours noir, qu’elle ne voulait plus ôter après la séance photo, Leikeli47 prend la pose devant l’objectif du directeur artistique de Celine Hedi Slimane, “un pur génie, une légende au travail”, comme elle le qualifie. Elle n’en revient toujours pas d’avoir collaboré avec le styliste. Sur le plateau, elle était très nerveuse mais elle garde un souvenir ébloui de ce jour magique lors duquel elle a parlé musique, sport, mode ou encore art. Comment Hedi Slimane l’a choisie, lui dont on connaît plutôt l’obsession pour les rockeurs ? “Il a vu en moi une artiste totale, tout comme lui », répond-t-elle. “Nous ne rentrons dans aucune case, nous détestons les normes.” Et il est vrai qu’entre la rappeuse de Brooklyn, accro à la mode, “un moyen d’exprimer son soi profond, de se présenter au monde”, et le créateur et photographe français, qui a imposé la silhouette étirée et l’esprit rock dans la mode, les points communs sautent aux yeux. Une liberté folle et un esprit rebelle… Hedi Slimane et Leikeli47 étaient faits pour s’entendre.
Les deux cachent aussi une certaine forme de timidité sous leur audace créatrice. Mais sous sous son bandana ou sa cagoule, qu’elle assortit à ses vêtements, Leikeli47 fait aussi passer d’autres messages. Aujourd’hui c’est devenu sa signature. Elle en possède des centaines, de toutes les couleurs et de toutes les formes, mais son préféré reste le rose. Car elle demeure, explique-t-elle, “une fille qui aime le rose malgré tout”. Elle sait que son allure peut effrayer, mais c’est sa façon d’être prise au sérieux et surtout d’être entendue et non pas juste regardée. Elle s’inscrit ainsi dans la lignée d’artistes qu’elle admire, Daft Punk ou MF Doom et entretient le mystère autour de son identité : on la connaît uniquement sous ce pseudonyme aux allures de surnom MSN ou Wanadoo. Très peu présente sur les réseaux sociaux, elle tient à garder sa vie privée et à ne pas afficher les moindres de ses actions sur Instagram. Elle a un cercle familial et d’amis très proches qui sont sa source d’inspiration pour ses chansons et entretient une relation de confiance avec ses fans à qui elle donne beaucoup. Elle se sent “à leur service” et a noué avec eux un “rapport de confiance et d’égalité.”
Si sûre d’elle en concert, mais presque timide en interview, Leikeli47 a, comme sa musique tiraillée entre des influences diverses – rap, R’n’B, hip-hop, électro ou musique caribéenne –, plusieurs visages. À la fois très humble et ambitieuse, cette travailleuse acharnée ne définit pas sa musique. “Tout ça n’est qu’une question de plaisir et de joie. Je fais ce que je veux pour m’amuser. Je veux que les gens dansent et soient aussi heureux que moi lorsque je crée.” La musique est sa passion depuis longtemps. L’artiste a grandi dans une famille où l’on chantait du gospel, et trouve son inspiration parmi les musiciens de son entourage proche. Elle commence à composer très jeune, et c’est en 2010 que sa mixtape est repérée sur Soundcloud. Depuis elle ne fait que travailler sans cesse pour « devenir la plus grande star de la musique. » Son humilité se heurte parfois à son ambition, elle qu’on surprend à rêver de suite quatre étoiles et de champagne. Pourtant elle ne fait pas de la musique pour être connue et ne réalise pas qu’elle peut-être une inspiration pour beaucoup. Avec ses textes simples et efficaces, influencés par ses lectures d’ouvrages jeunesse, Leikeli47 ne se prend pas la tête. Elle sait que le succès vient à qui sait attendre, travaille ardemment et ne trahit pas ses convictions.
Aussi mystérieuse soit-elle, Leikeli47 se dévoile cependant plus qu’on ne l’on ne le croit. Son nom d’abord en dit long. 47 fait référence à l’année où Jackie Robinson devient le premier joueur de baseball noir à intégrer une équipe majeure, les Dodgers de Brooklyn. Un hommage à ce sportif icône de la lutte pour les droits civiques, mais aussi à ce sport dont elle est “super fan”. Mais la coïncidence ne s’arrête pas là. Elle s’est ensuite rendue compte que le premier microphone avec lequel elle enregistrait ses chansons était un U-47. Ce nombre est depuis devenu un fétiche, “un nombre magique.” Magie qu’elle porte en elle aussi depuis le début : “je sentais que quelque chose se passait dans mon coeur et que ça devait sortir. Je savais que je devais faire de la musique, de toutes mes forces.”, explique-t-elle. C’est une puissance presque mystique qui émane d’elle. Et son bandana peut même être perçu comme un masque de super-héroïne. Leikeli47 apparaît alors presque invincible. Dans ce monde masculin qu’est le hip-hop, elle se fraie un chemin, qu’importe les difficultés. Rien ne pourra l’arrêter. “Les choses sont toujours plus difficiles quand on est une femme”, a conscience Leikeli47. Mais pour elle, c’est parce que les femmes ont voulu laisser cette place aux hommes qu’ils l’ont prise. Alors “il suffit de la récupérer”, et c’est ce qu’elle promet de faire avec son rap mitraillé et militant, féministe et insoumis.
Acrylic, (2018) de Leikeli47. Album Shape Up, 15 avril.