Que vaut vraiment la série “Years and Years”?
En mai dernier, les chaînes BBC et HBO présentaient leur nouvelle coproduction : “Years and Years”, série dystopique en six épisodes imaginée par Russell T. Davies. À travers la vie d'une famille britannique, on y suit les transformations de notre monde de 2024 à 2030, considérablement affecté par les crises et tensions qui l'habitent actuellement. Un récit pétri d'un pessimisme édifiant.
Par Matthieu Jacquet.
Tout commence en 2019, devant un poste de télévision. Au Royaume-Uni, les deux frères Daniel et Stephen Lyons découvrent sur un plateau Vivienne Rook, nouvelle figure médiatique inquiétante, alors que leur sœur Rosie leur annonce qu’elle s’apprête à accoucher. Reliée à sa famille par une enceinte connectée, leur grand-mère Muriel tente de suivre l’avancée des événements. Le nourrisson voit le jour, et là tout bascule soudainement : cinq années défilent en accéléré jusqu’à l’an 2024. L’histoire peut désormais commencer.
C’est un dense programme qui attend le spectateur, qui, grâce à l’intelligence de la narration, se laissera embarquer dans cette dystopie remarquable et efficace.
Cette incursion dans un futur proche, c’est ce que propose la mini-série Years and Years, nouvelle co-production de la chaîne britannique BBC et de la chaîne américaine HBO. En six épisodes de presque une heure chacun, son réalisateur Russell T. Davies – connu pour être à l’origine des séries Doctor Who et Queer as Folk – imagine à quoi ressemblera le monde de demain, considérablement transformé par les diverses crises et conflits qui le menacent depuis des années. S’étalant jusqu’au début des années 2030, le scénario est aussi bien traversé par des problématiques politiques, diplomatiques voire militaires, écologiques, économiques et financières que sociales et sociétales, familiales et plus locales. Ainsi, c’est un dense programme qui attend le spectateur, qui grâce à l’intelligence de la narration se laissera embarquer dans cette dystopie remarquable et efficace.
1. Les dérives de la technologie
Présage angoissant, le scénario de Years and Years n’est pas sans rappeler les sombres récits d’anticipation qui ont fait le succès de la série Black Mirror. On y retrouve en effet le même pessimisme lié à une inscription du récit dans le présent ou le futur proche, la série intègre des éléments de notre propre réalité qui renforcent alors l’inquiétude du spectateur : l’influence mondiale du triumvirat Trump – Poutine – Xi Jinping, la crise des réfugiés, l’intrusion de la technologie dans l’intimité quotidienne… Et c’est certainement sur ce dernier point que Years and Years rejoint la série créée par Charlie Brooker.
Au sein de la nouvelle réalité dépeinte par Years and Years, même les enceintes connectées telles que nous les connaissons deviendront vintage.
Dans le premier épisode, la jeune Bethany, l’une des filles de Stephen Lyons, confie à ses parents être trans…humaine. Une annonce qui préfigure un nouveau phénomène de la génération des millenials, nés avec les écrans : la sensation d’être encombré par son propre corps provoquant le désir de fusionner avec le digital. Révolutionnaires, ces transformations figurent la voie royale pour mettre directement l’anatomie humaine au service du gouvernement. Au sein de la nouvelle réalité dépeinte par Years and Years, même les enceintes connectées telles que nous les connaissons deviendront vintage, tandis que le surplus numérique et technologique causera de nouveaux problèmes.
Une chaîne d’information montre à la fin des années 2020 un groupe de jeunes filles décontenancées lorsqu’elles tiennent dans leurs main leur premier bloc de papier.
Alors que le monde entier se trouve en proie à des pannes de courant récurrentes qui mettent constamment en danger le système, une chaîne d’information montre à la fin des années 2020 un groupe de jeunes filles décontenancées lorsqu’elles tiennent dans leurs main leur premier bloc de papier : Years and Years livre ici un commentaire cynique sur la disparition du livre. Son regard s’éloigne toutefois du manichéisme par de remarquables progrès médicaux, qui seront favorables à certains personnages.
2. Une série résolument politique
Si la politique n’est pas toujours au cœur des épisodes de Black Mirror, elle se montre dans Years and Years cruciale à la narration. Au fil des épisodes, les médias livrent des nouvelles inquiétantes : un deuxième mandat de Trump, une révolte d’extrême gauche en Espagne, une troisième guerre mondiale imminente amorcée sur une île de Chine par une explosion nucléaire. Traversé par les inquiétudes grandissantes post-Brexit, le Royaume-Uni de Years and Years fait face à une nouvelle menace populiste s’incarnant en la figure de Vivienne Rook, une ancienne entrepreneuse devenue politicienne. Superbement interprétée par Emma Thompson, celle-ci fait preuve d’une personnalité provocatrice, reflet d’un nouveau monde où la popularité médiatique supplante le politique. Dans ce théâtre de la communication, Vivienne Rook joue la carte de la subversion et remporte progressivement l’adhésion du peuple avec son mouvement Four stars, référence non dissimulée au Mouvement 5 étoiles actuellement au pouvoir en Italie.
3. La famille, au coeur du récit
Afin de supporter le caractère tragique de cette dystopie, le spectateur s’accroche à un socle solide et inséparable : la famille Lyons. Répartie entre Manchester et Londres, elle témoigne à travers les histoires de ses cinq membres principaux des affres et difficultés amenées par cette nouvelle ère. Le frère aîné Stephen, conseiller financier aisé, fait face à un krach bancaire sans précédent. Sa sœur Edith, activiste politique, voit sa durée de vie écourtée par un tragique incident. Daniel, leur frère, tente d’aider un réfugié ukrainien dont il tombe amoureux. Rosie, la benjamine de la famille, perd son emploi et doit bâtir un nouveau projet. Quant à Muriel, leur grand-mère nonagénaire, elle est ici la figure d’un ancien temps précédant l’entrée au XXIe siècle, tentant tant bien que mal de s’adapter aux changements constants de ce monde.
À l’instar de Black Mirror, Years and Years amène le spectateur à poser un regard critique sur le monde qui l’entoure et ce qu’il risque de devenir,
Mais Years and Years est loin d’être construite sur une narration habituelle : dans chaque épisode, la série déroule en accéléré une ou plusieurs années, passant très succinctement en revue des moments clés dans la vie de la famille. Au sein de ses vicissitudes se mêlent alors les faits d’actualité, formant un conglomérat saturé d’informations plus alarmistes les unes que les autres qui submergent jusqu’à l’écœurement.
À l’instar de Black Mirror, Years and Years amène le spectateur à poser un regard critique sur le monde qui l’entoure et ce qu’il risque de devenir, interpelé par des réalités proches et bien vivantes de la société contemporaine : le tee-shirt vendu à 1 euro, les caissières remplacées par des machines dans les supermarchés… Dans le dernier épisode, la grand-mère prononce un discours devant sa famille regard caméra, en réalité adressé au public de la série : “Chacune des choses qui ont mal tourné, c’est de notre faute. Nous pouvons passer la journée à faire porter le chapeau à d’autres personnes (…) mais cela reste de notre faute. Voilà le monde que nous avons bâti.” Derrière son ton un brin culpabilisateur et sensationnaliste, Years and Years livre un regard juste nourri par les questionnements existentiels qui nous habitent, nous incitant à réfléchir au changement.