SiR : confidences d’un héros blessé du R’n’B
Alors qu’il défend Heavy, son nouvel album multicolore avec l’écurie Top Dawg Entertainment (Kendrick Lamar, SZA, Jay Rock, Schoolboy Q…), SiR a accepté de se livrer au cours d’un entretien fleuve et sans concession. Ce nouveau disque de R’n’B éclatant évoque son interminable plongée dans les abysses puis, sa période de convalescence. Rencontre.
Propos recueillis par Alexis Thibault.
“Heavy”, le nouvel album thérapeutique de SiR
Nul n’aurait pu présager que Sir Darryl Farris définirait son quatrième album studio comme suit : un tunnel obscur au bout duquel scintille une lueur providentielle. Œuvre thérapeutique d’un musicien repenti, Heavy, le nouvel opus de celui que l’on nomme simplement SiR, propose “une montagne russe de R’n’B” et évoque son interminable plongée dans les abysses puis, sa période de convalescence. Les mots ont enfin remplacé la came. Il y a plusieurs mois, lors de son séjour en cure de désintox, le musicien de 37 ans découvre Amy (2015), le documentaire d’Asif Kapadia. Une plongée cruelle dans l’intimité d’Amy Winehouse, figure emblématique de l’archétype “splendeur et décadence”. SiR s’identifie immédiatement à la diva du jazz et comprend qu’il doit se ressaisir car ses propres démons tourmentent inévitablement ses proches. Dégâts collatéraux. Mais qui aurait vraiment pu comprendre ce qu’il traversait alors ?
L’auteur de The Recipe, chanson splendide sortie en 2019, est issu d’une éminente famille de musiciens. Sa mère était choriste pour Michael Jackson et pour l’icône de la soul Anita Baker. Son oncle, que le milieu surnommait “le parrain des bassistes de soul”, a accompagné Prince, Whitney Houston, Donna Summer ou les Destiny’s Child… Quant à son frère aîné, Daniel Anthony Farris, on le connaît sous le pseudonyme de D Smoke, vainqueur, en 2019, du concours musical Rhythm + Flow de la plateforme Netflix. Alors qu’il défend un disque polychrome avec l’écurie Top Dawg Entertainment (Kendrick Lamar, Jay Rock, Schoolboy Q, Isaiah Rashad…), SiR a accepté de répondre aux questions de Numéro. Un entretien fleuve et sans concession. Quelques heures seulement après notre discussion par écran interposé, il filait déjà sur une scène d’Auckland (Nouvelle-Zélande), pour assurer la première partie d’une certaine SZA… Rencontre.
Numéro: Lorsque vous étiez-petit qu’aperceviez-vous par la fenêtre de votre chambre ?
SiR: Et bien j’habitais juste en face de Park Circle à Inglewood, en Californie. Donc je l’apercevais depuis ma fenêtre, malgré les barreaux. Depuis, je ne vis plus dans cette maison mais j’habite toujours le quartier. Croyez-moi, Park Circle était vraiment un endroit magique ! À l’époque, tous les gosses se donnaient rendez-vous là-bas pour jouer au football. C’était un peu le QG. Le lieu où il fallait absolument passer son été.
Je crois savoir que votre frère aîné était membre d’un gang. Avez-vous grandi entouré de violence ?
Mon frère aîné était bel et bien membre d’un gang mais, en ce qui me concerne, j’ai plutôt grandi comme un enfant de choeur. Il a probablement vu bien plus de violence que moi… Mes parents m’ont toujours protégé. Je suis le plus jeune d’une fratrie de quatre garçons. Nous avons grandi dans un quartier où régnait une violence certaine mais nous n’avons jamais vraiment eu besoin d’y prendre part. Nous avons été élevés correctement, comme des hommes bons. Je vous mentirais en vous disant que je n’ai jamais vu de choses folles dans ma vie… mais j’étais déjà un adulte à ce moment là. Désormais, les gangs ne traînent plus vraiment dans les rues de mon enfance. C’est un quartier beaucoup plus sûr.
Si votre nouvel album, Heavy, était une toile de maître à quoi ressemblerait-elle ?
Ce serait forcément une toile très sombre… Il y aurait du noir, des nuances de gris et quelques lignes dorées, comme des fissures brillantes à travers le tableau. Une sorte d’image que l’on aurait froissée.
J’ai fait des erreurs. Énormément d’erreurs. Pour ne rien vous cacher, on aurait presque pu croire que c’était intentionnel, comme si je souhaitais mettre un terme à ma carrière…
Heavy évoque tour à tour la santé mentale, la transformation physique et le rétablissement. Pourquoi aviez-vous tant besoin de produire une œuvre thérapeutique ?
J’ai eu énormément de mal à me remettre de la pandémie. À l’époque, ma femme et moi traversions une période très difficile et j’ai rencontré des problèmes de drogue. J’ai décidé de prendre du recul et d’opter pour un reboot intégral de ma personne. Il fallait que je guérisse, que je reprenne du poids. Cela fait maintenant un an et six mois que je suis totalement sobre…
Félicitations !
Merci ! J’essaie d’emprunter une autre voie. Plus d’alcool, plus de drogue… Bon, je m’autorise un petit joint de temps en temps, vous comprenez. [Rires.] Je fais de l’exercice quasiment six jours par semaine et mes habitudes alimentaires sont bien meilleures qu’auparavant.
Ah ! C’est pour cela que vous êtes torse nu sur la pochette de votre album en fait ! Pour montrer à tout le monde que vous êtes de nouveau en forme !
Exactement ! [Rires.] Il fallait bien que je montre ça. Avec tout le travail que j’ai accompli, il aurait été idiot de ma part de ne pas dévoiler le résultat de mes efforts. Cela m’a coûté beaucoup de sueur… et beaucoup de larmes. Depuis, je prie chaque jour pour remercier Dieu de m’avoir donné l’occasion de me racheter. J’ai fait des erreurs. Énormément d’erreurs. Pour ne rien vous cacher, on aurait presque pu croire que c’était intentionnel, comme si je souhaitais volontairement mettre un terme à ma carrière… C’est cette lutte interne, cette transformation que j’ai mise en musique. Oui, cet album était thérapeutique. J’aimerais que les gens puisse l’écouter et l’apprécier sans me juger pour autant.
Vous avez toujours assumé la part autobiographique de votre musique… Composez-vous pour mieux vous connaître ou pour que les autres vous comprennent ?
Si vous aimez vraiment la musique et, surtout, celle que vous produisez, il est impossible de composer pour quelqu’un d’autre que pour vous-même. Paradoxalement, plus je plonge profondément en moi et plus les auditeurs semblent s’identifier à mon propos. En tout cas, je ne pense pas m’être dit un jour : “Je veux écrire un type de chanson bien spécifique pour telle ou telle personne.” J’ai sans doute essayé, sans vraiment m’en rendre compte… mais je n’ai jamais vraiment réussi.
Lorsqu’une idée me vient, je la griffonne sur un bout de papier puis je développe un concept. La créativité est éphémère et l’inspiration très fugace. Disons que je fais de la musique de l’instant.
Avec ce disque, vous semblez explorer davantage les univers de vos collaborateurs plutôt que l’inverse. Je pense notamment au titre Poetry in Motion en collaboration avec Anderson .Paak. Ce morceau pourrait complètement figurer sur l’un des ses propres albums…
J’opte à chaque fois pour une sorte de mise à jour intégrale de ma musique, comme pour explorer de nouveaux univers. Disons que c’est une façon de m’améliorer. Un titre comme No Evil (2024), par exemple, me sort complètement de mes habitudes. Le morceau dont vous parlez, avec Anderson .Paak, était une simple coïncidence. Je ne l’ai absolument pas composé en pensant à lui mais, lorsqu’il l’a découvert, c’était évident. Il m’a dit : “Ça, c’est pour moi !” La plupart des artistes avec lesquels je collabore sont des amis, donc je n’ai pas eu besoin de leur courir après ou de les supplier pour qu’ils acceptent de signer un couplet. [Rires.]
Depuis, avez-vous pris goût au fait de composer à l’aide de votre tristesse ?
Non. J’utilise le chagrin sans être foncièrement triste pour autant. Il m’est très désagréable de composer dans un état de déséquilibre émotionnel. J’aime plutôt créer au calme, détendu. J’essaie de ne pas me laisser dévorer par mes émotions. Sinon, cela signifierait que mes meilleurs morceaux résultent de ma colère…
Votre premier disque, Seven Sundays est sorti en 2015. Comment parvenez-vous depuis à créer quelque chose de différent à chaque nouvelle œuvre ?
Je me considère encore comme un étudiant. Il y a toujours beaucoup de nostalgie dans mes albums. À l’époque je n’écoutais pas beaucoup de choses actuelles mais plutôt des morceaux que l’on pourrait qualifier de “vintage”. Depuis, j’absorbe les compositions des autres et je crée donc à partir de ce que j’aime. Ma méthode est un peu willy-nilly, en d’autres termes : je n’ai pas de plan. Lorsqu’une idée me vient, je la griffonne sur un bout de papier puis je développe un concept. Ensuite, je trouve un beat et je façonne une ambiance. Je n’ai même pas forcément besoin d’écrire une chanson en entier. Parfois, seul un complet ou l’ébauche d’un refrain me suffit. Le fait que je sois moi-même producteur m’aide à adapter ces idées en musique. Ensuite, d’autres musiciens m’accompagnent pour développer le tout. La créativité est éphémère et l’inspiration très fugace. Disons que je fais de la musique de l’instant.
Quels sont les trois morceaux dont vous êtes le plus fier ?
Six Whole Days (2024) qui est une véritable œuvre d’amour. Ma mère joue la partition de piano, mon frère chante, mon oncle joue la ligne de basse et ma belle sœur du violon. C’est une affaire de famille dont je suis très fier. Le titre I’m not Perfect (2024) en collaboration avec le rappeur Ab-Soul. C’est un honneur de l’avoir avec moi sur le projet, c’est un grand ami qui appartient au même label que moi. Et puis Ricky’s Song (2024) qui rend hommage à mon neveu : il vient d’être accepté au Berklee College of Music (Boston, Massachussets). Je suis tellement fier de lui…
Il se fait tard ! Je crois qu’une certaine SZA vous attend…
Oui ! Je joue en première partie de ses concerts. Pour le moment, nous en avons donné cinq, il nous en reste six ! J’étais justement en train de faire mes exercices d’échauffements vocaux avant de vous retrouver. Je suis un immense fan de SZA, je fais partie du même label qu’elle et nous nous produisons dans des stades… donc je dois vraiment m’assurer d’être toujours au top pour faire bonne figure ! Comme le public n’est pas le mien, je chante évidemment des morceaux issus de mes disques Chasing Summer et November, histoire que les gens reconnaissent quelques titres. Je ne peux pas me permettre de jouer exclusivement mon nouvel album. Nous avons changé l’ordre des morceaux à chaque concert mais, pour le moment, je crois que nous avons trouvé un bon compromis… Il y a quelques années, j’assurais la première partie de Kendrick Lamar pour sa tournée Damn. C’était le jour et la nuit. Je ne dis pas cela pour lui manquer de respect, mais c’était une expérience très différente pour moi. Le public était bien trop impatient de retrouver Kendrick.
Êtes-vous plus heureux que vous ne l’avez jamais été ?
Il y a environ un mois, ma mère a réchappé d’un grave accident dans lequel elle aurait pu perdre la vie. Heureusement, elle va beaucoup mieux et rentre chez elle aujourd’hui. En ce qui me concerne, ma femme est enceinte, elle attend notre second enfant ! Plus heureux que je ne l’ai jamais été, je ne sais pas, en tout cas, je suis très reconnaissant. Quoique, oui… je suis vraiment très heureux.
Heavy de SiR, disponible.