Hunters: a risky Nazi hunt
La nouvelle série d’Amazon produite par Jordan Peele et interprétée par Al Pacino n’hésite pas à prendre le risque de choquer. Sur fond de Seconde Guerre mondiale, cette fiction pleine d’action met en scène un groupe de mercenaires juifs décidés à se venger en répondant au mal par le mal.
Par Olivier Joyard.
La fiction comme moyen de “réparer” l’histoire a traversé l’année dernière deux grands objets esthétiques contemporains. Le film de Quentin Tarantino, Once Upon a Time in… Hollywood, imaginait la fin des sixties à Los Angeles si l’assassinat sauvage de Sharon Tate n’avait pas eu lieu, tout en proposant un chant d’amour aux vestiges de Hollywood, porté par l’interprétation de Leonardo DiCaprio et de Brad Pitt. Watchmen, la série du créateur de Lost, Damon Lindelof, s’appuyait quant à elle sur le roman graphique d’Alan Moore et de Dave Gibbons pour raconter une Amérique alternative où Robert Redford aurait été élu président et où les suprématistes blancs constitueraient désormais une menace majeure pour l’équilibre du pays, comme il y a un siècle. À chaque fois, un même processus à l’œuvre, visant à révéler une vieille tendance américaine à la violence et à la haine avec les moyens libérateurs de la fiction. Non pas réécrire le passé, mais le délirer, lui redonner toute sa capacité d’action sur le présent. Devant Hunters, la nouvelle série mise en ligne par Amazon, difficile de ne pas penser à ces deux repères récents. Même si l’approche diffère, un même esprit rôde, ce goût pour le jeu avec les traumas collectifs on ne peut plus sérieux.
Hunters, la création du jeune scénariste inconnu David Weil, qui s’inspire de faits réels en les poussant jusqu’au bout, montre des personnages qui résistent à l’histoire, à son horreur et à ses réminiscences. Cette histoire, c’est celle de l’Europe durant la Seconde Guerre mondiale et plus précisément celle des crimes nazis. Dans un mélange audacieux et détonant, Hunters se permet à la fois de reconstituer par bribes la vie dans les camps de la mort – à travers des flash-back – et de faire le portrait d’un groupe de Juifs revanchards (filmé dans l’esprit du cinéma d’exploitation axé sur les tournages rapides avec peu de moyens) pourchassant, dans les seventies, d’anciens hauts dignitaires du régime d’Adolf Hitler installés incognito aux États-Unis. Une série d’action stylée comme en 1977, en costumes d’époque et avec la musique qu’il faut ? Sur ce sujet, il fallait oser. C’est peut-être à cela qu’on reconnaît les œuvres destinées à secouer les habitudes les plus installées, qui voudraient par exemple qu’on ne touche à l’horreur de l’extermination qu’à travers des drames sérieux.
Dans Inglourious Basterds (auquel on pense forcément ici – y compris à travers de fausses bandes-annonces à l’esprit Tarantino intégrées à la fiction), le réalisateur de Pulp Fiction proposait une comédie d’action où Hitler finissait par mourir. Hunters va plus loin en prenant tous les risques, y compris celui de choquer. Il s’agit ni plus ni moins que de suivre une bande de mercenaires juifs animés par l’esprit de vengeance, qui ont pour but d’éliminer le mal par la violence. Comment s’étonner de retrouver au générique, en tant que producteur, l’un des esprits les plus fins et les plus politisés des séries et du cinéma américains actuels ? Jordan Peele (Get Out, Us) a parlé en ces termes de son amour pour le projet : “Quand David Weil m’a fait lire son scénario, j’ai tout de suite su que je voulais m’impliquer. C’est cathartique. C’est noir. C’est pertinent au point que ça en devient effrayant. C’est exactement ce que j’ai envie de voir dans une série.”
Quand Jordan Peele parle de pertinence, il soulève évidemment la question de la continuité de la haine (et notamment de la haine antisémite) qui traverse toujours le monde. Hunters appuie où ça fait mal en montrant une société américaine littéralement aveugle (les nazis qui y vivent sont parfaitement intégrés) où la menace est clairement installée à l’intérieur du territoire. Pour donner du poids à ce constat, le showrunner n’a pas lésiné sur l’ambition en termes de casting : il offre à Al Pacino son retour à la série télé après Angels in America en 2003. Alors qu’il célèbrera ses 80 ans au mois d’avril, l’acteur du Parrain et d’Un après-midi de chien trouve ici l’un de ses rôles les plus intéressants depuis la fin de sa période mythologique. Gouailleur, intense, séduisant, il prend sous sa coupe le héros, un jeune homme dont la grand-mère a été assassinée sous ses yeux par un nazi, qui rejoint l’organisation des “chasseurs”. Le mot d’ordre du personnage d’Al Pacino est tiré du Talmud, avec ce qu’il faut d’ironie et de profondeur : “Bien vivre constitue notre meilleure revanche.” À méditer.