L’interview FaceTime avec… le rappeur Krisy
En période de confinement, Numéro continue à s'intéresser aux musiciens qui accompagnent nos journées avec leurs morceaux. Aujourd’hui, le rappeur et beatmaker belge Krisy, dont la sortie de l’album “Euphoria” est prévue pour juin prochain. Celui qui a produit la mélodie du cultissime “Paris c’est loin” de Damso (en featuring avec Booba) sous l’alias De La Fuentes, évoque sa vie de compositeur et dévoile les secrets de ses collaborations.
Propos recueillis par Chloé Sarraméa.
Lorsque Krisy allume la caméra de son iPhone, il est en train de monter une quantité de marches astronomique. Il a installé son studio dans sa gigantesque maison de Bruxelles et s’y enferme des journées entières depuis ses débuts dans la musique. Avec ses dreadlocks impeccablement attachées, ses grandes lunettes de premier de la classe et sa casquette rose poudré, le parolier, producteur, ingénieur du son et directeur artistique de son propre label – Le Jeune Club – apparaît comme le geek ultra propre et perfectionniste du rap belge. Pas étonnant, quand on sait qu’il réfléchit à son album Euphoria depuis six ans déjà, qu’il a lancé sa propre marque de vêtements – dont la première collection s’apprête à être dévoilée – et que c’est lui-même qui dessine ses croquis en prenant des cours et en s’entraînant grâce à des livres comme Comment dessiner la mode? Bases et techniques. Rencontre en FaceTime avec un producteur surdoué révélé au public par une session Colors.
Numéro: En 2017, vous êtes le premier artiste francophone à avoir participé à une session Colors avec le titre Julio & Sa Gogo Danseuse, qui cumule aujourd’hui plus de cinq millions de vues sur Youtube. En quoi ce projet a été un tournant dans votre carrière?
Krisy: Après le Colors, tout s’est très vite enchaîné. J’ai fait mes premiers concerts, j’ai signé chez #NP [la structure de management d’artistes de Pascal Nègre], j’ai eu beaucoup de demandes de maisons de disques… J’ai eu de la chance : grâce à Julio & Sa Gogo Danseuse, les publics français et belges ont découvert Colors. C’était un big deal!
Vous avez travaillé dans l’ombre de Damso pendant des années. Pourquoi, d’un coup, avoir eu envie de lumière?
À l’époque, je connaissais déjà ma place: j’étais ingénieur du son, je faisais bien mon travail en studio et j’avais la reconnaissance de l’industrie musicale. Je n’ai jamais été jaloux de Damso, j’étais content qu’il ait du succès et je voulais aller encore plus loin avec lui. J’ai enregistré son deuxième album et je lui ai parlé de l’ingénieur du son de PNL [Nk.F], qui fait un boulot génial. On a collaboré ensemble et il a sorti Ipséité, un album que tout le monde connait aujourd’hui. Ensuite, j’ai travaillé sur ma propre musique et j’ai produit des artistes moins connus: j’ai rencontré PLK avec qui j’ai travaillé sur cinq projets, j’ai bossé avec Shay pour son titre Thibaut Courtois [une chanson d’amour sur l’album Jolie Garce]. Aujourd’hui, je suis toujours à la recherche de nouveaux talents. C’est ce je trouve excitant dans la musique : rencontrer des gens qui partent de rien.
Vous avez aussi créé Le Jeune Club, un label bruxellois mais aussi une marque de vêtements…
J’ai lancé Le Jeune Club au début des années 2010. À l’époque, je faisais partie d’une bande d’une trentaine d’amis et je voulais montrer au monde que ma clique savait rapper! Je suis donc devenu l’ingénieur du son du Jeune Club, j’enregistrais les morceaux d’un maximum de personnes dans mon entourage mais aussi d’inconnus bruxellois pour un prix dérisoire. Tout se passait dans ma chambre d’ado et, au fur et à mesure, on s’est un peu détachés, on n’avait pas tous les mêmes rêves et le collectif s’est réduit. Il y a trois ans, j’ai donc changé ce statut de collectif en label: désormais, j’y produis du son, des sapes, des clips… Plein de trucs.
S’agit-il de l’époque où vous vous appeliez “Le Boy Krisy B”?
[Rires] C’est exactement ça ! Quelle période, c’était incroyable ! Je ne savais pas où est-ce que j’allais et j’ai atterri dans la musique un peu par hasard: je faisais beaucoup de sport et je me suis blessé, alors j’allais enregistrer des sons avec des amis rappeurs qui demandaient d’écrire des textes pour eux. Je les postais ensuite sur Facebook et les vidéos cumulaient deux vues, puis quatre, huit et c’est arrivé à des centaines !
Vous avez sorti plusieurs projets sous cet alias, Weedtape 1.0 en 2011, Black Souag l’année suivante, puis deux autres, Jouvence Chapitres 1 et 2, en 2013. Ces pochettes font sourire: ce sont des canettes de bière.
À cette époque, mes amis et moi étions connus pour traîner dans Bruxelles avec notre éternelle canette à la main. On faisait des freestyle dans la rue et je me disais “en fait la bière, c’est ce qui nous rend jeunes!”, c’est pourquoi j’ai appelé les projets Jouvence et que j’ai choisi ces visuels
Votre album Euphoria est assorti d’une BD imaginée par un dessinateur, Hoobooh. À l’heure où les plateformes de streaming sont inondées d’albums de rap, c’est une façon d’essayer de vous démarquer?
J’ai mis des années à trouver le dessinateur avec qui je voulais travailler. J’ai rencontré Hoobooh et on a imaginé le projet ensemble. Je suis en un grand fan de BD: Boule & Bill, Le Petit Spirou, Léonard… Pour ce qui est de se démarquer, oui, j’ai toujours essayé d’être différent. Tout ce que j’aime dans la musique c’est les concepts: l'album de Disiz La Peste, Jeu de société où il parle de sa vision de la société contemporaine, les albums de Dr. Dre où les interludes de conversations téléphoniques s’enchaînent… Ce sont des projets qui m’ont toujours fait rêver. Idem pour les clips, à l’époque de Missy Elliott, Busta Rhymes, j’adorais leur esthétique et leur univers. Faire seize morceaux, ajouter des featurings, partir en tournée, faire un autre album etc., cela ne m'intéresse pas. J’ai envie de créer mon monde que ce soit sur scène ou dans mes clips.
Le Larousse définit l'euphorie comme un “sentiment de grande joie, de satisfaction, de contentement”. C'est ce que vous vouliez décrire avec cet album?
Pour moi, c’est un surplus de bonheur. Je connais des personnes qui retrouvent le bonheur dans la tristesse, dans la colère, dans d’autres sentiments qui, pour moi, sont négatifs. Alors je me suis demandé si l’euphorie était une bonne ou une mauvaise chose, et l’album tourne autour de cette idée.
Euphoria (2020) de Krisy, disponible en juin.