Rencontre avec Vincent Macaigne : “Être créatif, aujourd’hui, c’est traverser un long chemin de croix”
L’acteur, réalisateur et metteur en scène de 43 ans incarne, dans la série HBO Irma Vep qu’Olivier Assayas a adaptée de son propre film sorti en 1996, un cinéaste indépendant français, éternel dépressif, qui se heurte à des difficultés en chaîne sur le plateau de la série qu’il doit tourner.
Propos recueillis par Chloé Sarraméa.
Son air souvent ébahi a séduit le cinéma d’auteur contemporain hexagonal. D’Emmanuel Mouret – cinéaste habitué des collaborations au long cours avec qui il a tourné le très beau Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait (2020) et son prochain film Chronique d’une liaison passagère – à Justine Triet (La Bataille de Solférino) en passant par Guillaume Brac, tous sont unanimes : celui que l’on compare allègrement à Gérard Depardieu dans ses jeunes années sera l’un des personnages principaux de leurs fictions dépouillées. Car en plus d’être l’un des acteurs les plus courtisés en France, Vincent Macaigne, 43 ans, nourrit son talent dramatique de ses élans créatifs. Il est en effet, depuis, le début des années 2000, un auteur de théâtre acclamé dont les mises en scène, débordantes d’hémoglobine et très critiques envers l’état de nos sociétés, secouent autant qu’elles questionnent, notamment l’inoubliable Je suis un pays (2017), sa dernière pièce en date qui conte la fin du monde. Pour Olivier Assayas, l’acteur né d’une mère iranienne est revenu à Cannes, dont il est désormais un habitué après y avoir été invité sur le tard, à 34 ans. Cette année, il a présenté Irma Vep, une série HBO de huit épisodes sous forme de fresque sur le cinéma où le réalisateur de Doubles vies (2018) signe le remake de son propre film sorti en 1996. Vincent Macaigne incarne donc une version béta de Jean-Pierre Léaud qui jouait, à l’époque, un réalisateur habité tournant une adaptation des Vampires, un chef-d’oeuvre de Louis Feuillade datant de 1915.
Numéro : Qu’est-ce qu’Irma Vep, le film des années 90 dont la série est adaptée, incarne pour vous ?
Vincent Macaigne : Lorsque j’ai vu le film, à l’adolescence, c’était l’une des premières fois où je me suis interrogé sur le cinéma d’auteur français. Avant, je me disais qu’il était poussiéreux, un peu répétitif ou triste. Irma Vep, c’était punk pour l’époque ! Autant sur la façon de filmer – avec la pellicule grattée – que sur l’esthétique même. C’est un mélange de grâce et de brutalité… Et le costume de Maggie Cheung !
Comment vous êtes-vous préparé à incarner l’alter ego d’Olivier Assayas ?
Quand j’ai travaillé mon anglais, j’ai regardé beaucoup d’interviews d’Olivier. Mais ce n’est pas vraiment lui : le personnage de René dit quelque chose de l’intimité d’Assayas, tout en restant éloigné.
Dans une scène, votre personnage avoue ne plus aller voir de films. Avez-vous déjà travaillé avec un réalisateur qui partage cette vision désabusée du cinéma ?
Il éprouve plutôt un amour extrême du cinéma et de l’art et croit très fort en la grâce. René est très honnête : c’est un homme naïf qui dit ce qu’il ressent dans une industrie où il n’y a pas trop de place pour cela. Ça crée un décalage et beaucoup de drôlerie. Le cinéma d’Olivier raconte qu’on ne porte pas d’histoires en nous-mêmes, ce sont elles qui se trimballent dans le monde ou des personnages qui viennent nous hanter. Et non, je n’ai pas toujours travaillé avec des cinéastes qui fonctionnent ainsi. Cette chose-là est assez rare et puissante, surtout aujourd’hui.
La série aborde l’arrivée récente, sur les plateaux, de coordinateurs d’intimité et aussi les caprices des stars… Que dit-elle, selon, vous, du monde du cinéma d’aujourd’hui ?
Irma Vep parle plus d’Hollywood que du cinéma français. Moi-même, j’ai découvert l’importance des agents image, les énormes staff derrière les acteurs, le fait qu’ils deviennent des marques ou qu’ils travaillent avec elles… Ce n’est pas vraiment ma réalité. Certes, c’est en train d’arriver en France, mais c’est lent. Je dirais que la série est une sorte de grand film : une fresque sur le cinéma hollywoodien signée par un réalisateur.
Lors d’une interview, Olivier Assayas a déclaré que tourner cette série était synonyme de liberté. Selon vous, y’en a-t-il eu davantage que sur un plateau de cinéma ?
Pour Irma Vep, Olivier était libre. Sur le plateau, tout le monde s’est mis à travailler très vite, ce qui crée, pour l’acteur, une forme de confiance en son personnage sans avoir le temps de tout analyser. Mais certaines séries, notamment en France, ne donnent pas ce sentiment du tout…
Est-ce propre aux productions HBO ?
Je pense. Évidemment, quand on voit les séries Euphoria ou Succession, on se dit qu’il y a eu une liberté créative énorme.
La mise en opposition du cinéma et des séries est-elle dépassée ?
C’est complexe. Je viens du théâtre, où un milliard de spectacles qui durent douze heures sont joués sans que personne, que ce soient les spectateurs ou la production, ne se pose la question de la durée ou du format. Je pense notamment à Julien Gosselin, Olivier Py et moi-même : nous avons tous mis en scène des pièces de plusieurs heures.. C’est presque festif de voir un spectacle très long et de pouvoir aller et venir dans la salle ! Finalement, la question du format, pour moi, renvoie à la notion d’honnêteté artistique : comme un roman de Balzac, Irma Vep est une fresque. Idem pour Euphoria et Succession qui sont aussi honnêtes que quelques grands films, tandis que quelques grands films sont malhonnêtes de leur côté. Ce serait très beau de programmer des longs films en salle, dont certains avec entracte comme on en voyait à l’époque ! La longueur et le côté épique créent une véritable expérience de cinéma. Et on s’en souvient.
Pourquoi, selon vous, des réalisateurs de cinéma passent plus facilement aux séries que l’inverse ?
Peut-être que les auteurs de séries n’ont pas envie de faire du cinéma ? Venant du théâtre, je considère l’écriture sérielle comme une autre façon de penser et de raconter le monde. N’oublions pas la durée d’un film : c’est compliqué de raconter Hamlet en une heure et demie ! Et les contraintes ne sont pas les mêmes.
Pourquoi n’avez-vous pas monté de pièce depuis 2017 ?
Le Covid-19 est passé par là et il est très difficile de trouver des financements… À chaque fois que je monte une pièce, je passe trois ou quatre ans à trouver l’argent.
Votre notoriété ne vous aide-t-elle pas ?
Ce n’est pas le public qui remplit vos salles qui vous permet de trouver des financements. Et même en étant reconnu dans le théâtre, je n’ai jamais été très aidé par les CND [Centres dramatiques nationaux français]. Les gens pensent que c’est facile mais c’est une bataille délirante pour trouver trois cent six sous !
En 2016, vous avez mis en scène une pièce de Sarah Kane, une dramaturge britannique des années 90 qui signait des œuvres tout à fait transgressives. Peut-on encore le faire aujourd’hui ?
Non, et le problème n’est pas le public, qui est toujours présent, mais la production : il y a une forme de timidité à dire les choses. Donc on fait croire aux gens que personne ne va voir des mises en scène novatrices et brutales mais c’est faux.
Pourquoi ?
Il y a une volonté d’aplanir les choses. Certains ont peur de la parole et des gens qui ont des choses à dire. Des grands artistes existent mais où les laisse-t-on jouer ? Les gens créatifs doivent traverser un long chemin de croix tandis que les autres éprouvent beaucoup de facilités…
Irma Vep (2022) d’Olivier Assayas, une série en huit épisodes avec Alicia Vikander, Vincent Macaigne, Alex Descas et Jeanne Balibar. Sur OCS à partir du 7 avril 2022.