4 mai 2020

L’interview FaceTime avec… la chanteuse Crystal Murray

En période de confinement, Numéro continue à s'intéresser aux musiciens qui accompagnent nos journées avec leurs morceaux. Aujourd’hui, la jeune chanteuse Crystal Murray évoque son premier EP “I Was Wrong”, son amitié avec le producteur Bamao Yendé, ses problèmes avec l’autorité et son personnage de scène.

Propos recueillis par Lolita Mang.

On a découvert Crystal Murray il y a tout juste un an, avec le titre ensoleillé After Ten. Un voix chaude, pas encore tout à fait sortie de l’adolescence, des clips scintillants, des rythmes voguant entre soul et électro… Crystal Murray vient enfin de sortir son tout premier EP, I Was Wrong, fort de cinq titres hétéroclites. Certains utilisateurs d’Instagram la connaissait depuis plusieurs années déjà : l’adolescente est issue du Gucci Gang, ce groupe de copines parisiennes dont la vie alternait entre shootings mode et soirées chics, avant de fonder Safe Place, un collectif accueillant des témoignages de femmes sur leur vécu. Rencontre. 

 

Numéro: Comment votre confinement se passe-t-il ?

Crystal Murray: J’ai énormément de chance : je suis dans ma maison au Portugal avec ma mère, mon frère et mon petit copain. Je suis partie la veille de la fermeture des frontières ! Il y a même un studio dans lequel je peux enregistrer de nouveaux morceaux et les envoyer à mixer.

 

Vous venez de sortir votre premier EP, I Was Wrong. C’est un disque qui parle beaucoup d’amour, mais surtout de ruptures, et pourtant il regorge d’énergie. Il ne vous arrive donc jamais de vider une boîte de Kleenex après une rupture ? 

Avant de tomber vraiment amoureuse, je suis très control-freak, je veux gérer mes émotions seule. Mes premières chansons, comme August Knows ou Easy Like Before ont été écrites il y a trois ans maintenant, mais ma première vraie histoire d’amour a débuté il y a à peine un an. C’est à ce moment que j’ai écrit I Was Wrong. Je n’étais pas encore sous le charme, je vivais ma vie en mode “whatever” ! J’avoue que même aujourd’hui, j’essaie de me dire que l’amour ne me touche pas plus que ça, et que c’est quelque chose que je vis de manière artistique. Avec mon copain, dès que l’on s’engueule, on s’enferme chacun de notre côté et on écrit sur nos embrouilles. Notre relation est une source d’inspiration constante. Ma musique reflète cette dualité entre “je m’en fous, je ne vois pas mes émotions !” et une vraie tristesse. Je ne connais pas de juste milieu…

 

Votre copain n’a donc pas peur de se faire détruire dans un morceau ? 

Pas du tout, car parfois je finis également dans les siens, et il peut me massacrer ! 

 

Plusieurs producteurs sont intervenus sur l’EP. Pouvez-vous nous en dire plus ? 

I Was Wrong et Easy Like Before ont été produites par Sacha Rudy. Ensuite, j’ai travaillé avec Bamao Yendé sur Diamond Man, qui est ma préférée. C’est avec elle que j’ai appris à gérer mon écriture et  raconter une histoire de A à Z. Princess a été produite par Archil, un producteur un peu fou qui créé ses propres instruments dans sa petite cave. Il est dans l’un des plus beaux quartiers de Paris, à Arts et Métiers, mais dans une cave tout en bas de l’immeuble ! Et puis il y a August Knows, qui est la toute première chanson que j’ai écrite. J’étais avec un ami DJ qui m’aidait à chercher des producteurs. Il m’avait emmené au Grande Ville studio à Montreuil. C’est le premier qui me plaisait réellement et que j’ai pu faire écouter à mes proches. 

 

 

“Je n’ai pas envie d’être cataloguée chanteuse soul, parce que je ne le suis pas.”

 

 

Comment avez-vous croisé la route de l’artiste Bamao Yendé ?   

C’était il y a bientôt deux ans. Disons que… c’est un ami de la fête ! C’est mon DJ préféré, c’est ma cousine, c’est mon pote, c’est mon frère, c’est ma soeur… C’est un personnage à part entière. Je suis très proche de son groupe, Nyokô Bokbaë, dans lequel joue mon petit copain. 

 

Vous vous mettez doucement à rapper sur August Knows. C’est un terrain que vous avez envie d’explorer ? 

Je suis très influencée par Bahamadia, une rappeuse des années 90. Elle chante en rappant, c’était toujours très mélodieux. Mais je pourrais citer Beyoncé, au moment où elle a commencé à chanter et rapper. J’essaie de ne pas toujours faire la même chose, ce qui est difficile avec ma voix. Je peux être très jazzy, même sur un son techno ! En studio j’essaie toujours des nouveaux flows. Je n’ai pas envie d’être cataloguée “chanteuse soul”, parce que je ne le suis pas. Mes textes ne parlent pas que d’amour, et mes producteurs sont également très différents. Je veux un son jeune et varié ! On me compare souvent à Jorja Smith, ce qui est génial, je l’adore, mais elle est loin d’être ma plus grande inspiration. 

On observe une nouvelle génération de chanteuses soul avec Jorja Smith ou encore Greentea Peng en Grande-Bretagne, mais pas en France…

J’adore Greentea Peng ! Mais oui, c’est vrai, et c’est très simple. Les artistes chantent en français, et je ne vois pas comment tu peux faire de la soul en français… C’est un dilemme qui s’est posé pour moi. J’ai la double-nationalité franco-américaine, alors j’essaie de ne pas toucher que le public français. Je voudrais que ma musique puisse être écoutée partout. 

 

Vous avez 18 ans, j’en déduis que vous venez de décrocher le Graal du baccalauréat. Les études supérieures, c’était un grand “non” ? 

Je n’ai pas eu mon bac malheureusement… J’étais sensée l’avoir l’année dernière mais… Je ne suis pas allée aux rattrapages… J’étais à Formentera. [Rires] J’ai signé avec mon label six mois avant les épreuves. Je n’étais pas totalement résignée face à mes cours mais… J’ai toujours détesté l’autorité, c’est un de mes grands problèmes. Comme j’ai commencé à fréquenter des adultes depuis mon plus jeune âge, c’était insensé pour moi que des personnes de 30 ans me crient dessus. Je n’ai jamais été une rebelle, mais certaines règles me rendaient folle. Heureusement, mes professeurs m’aimaient bien, ils me comprenaient.

 

 

“J’ai essayé d’apprendre le solfège… Pour moi c’est comme des maths. Pourquoi est-ce que j’aurais envie d’ajouter des maths dans ma musique ?”

 

 

Alors maintenant, c’est musique à fond ? 

Exactement, et je me rends compte que je suis bonne à ça. J’entends par là que je peux passer des journées entières à faire de la musique. Je me rends bien compte que j’ai eu de la chance que ça vienne à moi très jeune, alors que je n’étais même pas prête. Les gens autour de moi ont tout de suite cru en moi. Et cela ne pose pas de problème à mes parents : ils ont un fils diplomate, alors je peux être l’artiste !

 

Vos parents sont eux-mêmes musiciens. Est-ce que cela attire les mauvaises langues ? 

J’ai reçu quelques messages comme ça… Ce qui est bizarre, c’est qu’ils venaient de filles qui font de la musique. Elles avaient grave le seum et me demandaient si c’était grâce à mes parents que j’avais signé dans un label… Mais ces messages viennent plutôt à cause de mon rôle dans le Gucci Gang. Mon père est jazzman, ce qui n’est pas vraiment dans l’air du temps. Et ma mère travaille dans le monde des musiques africaines. C’est d’ailleurs assez drôle, car quand j’ai signé avec mon label, je n’avais pas encore 18 ans, donc elle devait être là. Et l’équipe du label la connaissait, mais ne savait pas qu’elle était ma mère – ils ne comprenaient pas ce qu’elle faisait là ! 

Vous ont-ils au moins appris à jouer d’un instrument ? 

Mon instrument c’est ma voix… [Rires] Quand j’étais petite j’ai suivi beaucoup de cours de musique qui ne m’ont menée nul part. Je me répète mais j’ai des sérieux problèmes avec l’autorité… Cette année j’ai essayé de commencer le piano [elle lève les yeux au ciel]. Impossible de tenir ! Je ne suis absolument pas scolaire… Ça m’énerve, j’aimerais bien apprendre le piano ! J’ai essayé d’apprendre le solfège… Pour moi c’est comme des maths. Pourquoi est-ce que j’aurais envie d’ajouter des maths dans ma musique ? C’est là que mon père débarque est qu’il me dit “Crystal, si tu veux faire de la musique il faut passer par là”. En France, nous n’avons pas du tout cette culture de la musicalité. On a eu de grands chanteurs français, et j’ai l’impression que maintenant tout est parti. J’ai reçu cette éducation très musicale, et pour moi c’est choquant qu’aujourd’hui la musique passe au second plan dans la carrière d’une star. C’est quelque chose auquel je tiens beaucoup, surtout en live. Je ne suis pas contre la modernité, être avec un DJ, mais j’ai quand même besoin de mon groupe. Le son est important, encore plus en live. Il y a beaucoup plus d’énergie à donner au public.  

 

 

“Sur scène, je fais grave la meuf ! Je vais mettre les fringues dans lesquelles je me sens le plus confiante au monde et je vais débarquer comme une princesse.”

 

 

Vous avez d’ailleurs retourné La Boule Noire en février dernier avec vos musiciens !

J’ai pris quelques mois pour former ce groupe. Je travaillais avec des musiciens avant, mais il avait autour de quarante ans l’âge de mes parents – ils étaient quasiment amis avec mes parents !  Ils étaient très bons, mais j’avais besoin d’une autre énergie. Alors j’ai moi-même organisé des auditions où je faisais passer des musiciens pendant trois semaines. Je pense que j’ai formé environ cinq groupes différents, pour arriver à ceux que j’ai aujourd’hui. J’ai formé un puzzle de sons, mais aussi d’énergies : j’essayais deux ensemble pour voir s’ils s’entendaient bien, puis deux autres… Je me suis prise pour une psychologue ! Même pendant le confinement, on continue de travailler ensemble, on s’envoie beaucoup de musique.

 

N’êtes-vous pas effrayée avant de grimper sur scène ? Vous y dégagez une telle assurance…

C’est mon personnage. La Crystal que je connais, qui parle en ce moment, elle ne pourrait pas faire ça. Sur scène, je fais grave la meuf, on peut le dire ! Je vais mettre les fringues dans lesquelles je me sens le plus confiante au monde et je vais débarquer comme une princesse. Ce jour-là, à la Boule Noire, je n’étais plus avec mon copain. Et pendant presque un mois, j’ai connu la vraie tristesse pour la première fois de ma vie. C’était horrible. Alors ce concert, c’était l’occasion de tourner la page. En plus il était là, alors j’ai joué le personnage fois 1000 ! C’était comme dans un film, j’avais vu son chapeau de loin, j’ai chanté des chansons pour lui… Je me croyais dans Camp Rock !

 

Il paraît que vous préparez des sons très chauds pour l’été…

Normalement, mon prochain morceau est une collaboration avec Bamao [Yendé]. C’est un titre très sexy, qui parle littéralement de sexe. Peut-être qu’il s’appellera Flesh… J’aimerais beaucoup sortir tout ce que je fais pendant le confinement, ce que tout le monde fait en ce moment. Et puis en ce moment je travaille sur quelque chose… Je vais le dire, comme ça je suis certaine que je le ferai : je travaille sur un gros projet pour Halloween, qui mêle son et visuel. 

 

I Was Wrong [Because Music], disponible.