10 juil 2025

Le jour où Kendrick Lamar, en concert à Paris, est devenu culte

En 2020, la mort de George Floyd entache l’image unifiée que proclame l’Amérique et provoque le mouvement Black Lives Matter. Sorti dans les backs cinq ans plus tôt, l’album de Kendrick Lamar To Pimp a Butterfly refaisait son entrée dans les charts, alors que des manifestations fleurissaient dans toutes les grandes villes des États-Unis. Alors que le rappeur s’apprête à monter sur la scène du Paris La Défense Arena aux côtés de la chanteuse SZA les 15 et 16 juillet 2025, retour sur une œuvre emblématique de la lutte contre le racisme systémique, toujours culte même dix ans après sa parution.

  • par Lolita Mang.

  • Kendrick Lamar – For Free? (2015).

    Il a tout emporté avec lui. Onze nominations aux Grammy Awards, l’aval des critiques du monde entier, le top des charts. Sorti en 2015, To Pimp a Butterfly, le troisième album studio de Kendrick Lamar, est devenu culte presque instantanément. Certifié de platine, le disque bat le record du plus grand nombre de nominations aux Grammy Awards pour un artiste de musique urbaine. Après la cérémonie, le rappeur californien rentre chez lui en ayant battu J. Cole, Drake, Nicki Minaj et même son propre mentor, Dr. Dre.

    To Pimp a Butterfly, un album culte signé Kendrick Lamar

    En 2020, cinq ans après sa sortie, To Pimp a Butterfly refait son entrée dans les charts. Sans surprise, le disque fait écho aux manifestations contre les violences policières qui secouent les États-Unis. Le monde entier – des milliers de personnes se réunissaient le 2 juin 2020 devant le Tribunal de Grande Instance du 17e arrondissement parisien, à la suite de l’appel de la militante Assa Traoré. Quelques mois plus tôt, le meurtre de George Floyd par des policiers de Minneapolis réveillait la flamme de la contestation.

    Alright, extrait de l’album primé, incarne depuis sa sortie l’un des hymnes du mouvement Black Lives Matter. Il s’est hissé, début juin 2020, au 26e rang du classement mondial Spotify – aux côtés du brillant This Is America de Childish Gambino. Alors que Kendrick Lamar va se produire lors de deux concerts à Paris, les 15 et 16 juillets prochains, retour sur la genèse d’un classique du hip-hop.

    Childish Gambino – This is America (2018).

    Un album construit comme un manifeste

    La portée politique et sociale de l’album est fièrement affichée sur la pochette même, capturée par le photographe français Denis Rouvre. Lauréat du prix World Press Photo, il a notamment travaillé avec des artistes comme le réalisateur Oliver Stone. Mais aussi les actrices Kirsten Dunst et Dree Hemingway.

    Pour To Pimp a Butterfly, Denis Rouvre a choisi de photographier le rappeur de Compton entouré de ses proches, torses nus, chaînes en or autour du cou, billets dans la main, sur la pelouse de la Maison-Blanche. En noir et blanc, le cliché symbolise la révolution provoquée par Kendrick Lamar à travers son disque.

    Une révolution politique, culturelle et sociale, cristallisée dans la figure d’un juge blanc allongé au sol. Cette image signale la chute d’un système judiciaire déficient. Selon les mots de l’artiste, la photographie représente “un groupe de potes dans des endroits qu’ils n’ont pas forcément vus, ou seulement à la télévision”.

    Kendrick Lamar – Alright (2015).

    Quelques mois avant la sortie de l’album, Michael Brown, un Afro-Américain, est abattu à 18 ans par six coups de feu tirés par un policier. Ce n’est pas le premier meurtre, ni le dernier. La mort de George Floyd l’a prouvé – un membre de cette communauté assassiné par un représentant des forces de l’ordre.

    To Pimp a Butterfly se construit en rapport avec ces injustices, comme une réflexion sur la société américaine. Il critique le racisme systémique, mais aussi sur le mal que se font les Noirs entre eux évoqué sur le morceau The Blacker the Berry. Le rappeur californien s’érige dès lors en psychanalyste de la rue.

    Le titre même de l’opus évoque le contraste entre le papillon, brillant, délicat et libre, et le verbe “pimp”, qui renvoie plutôt à l’agression, la déviance et l’exploitation. En 16 titres, l’album est une danse constante. Il explore la dichotomie que les Noirs américains ne connaissent que trop bien, entre la douleur et la beauté.

    Kendrick Lamar – These Walls (Explicit) ft. Bilal, Anna Wise, Thundercat (2015).

    Le fruit d’un héritage douloureux

    Le troisième album de Kendrick Lamar – qui a reçu le prestigieux prix Pulitzer pour l’opus Damn – voit le jour après un séjour de plusieurs mois en Afrique du Sud, où le rappeur américain souhaite renouer avec ses racines africaines. Il y visite de nombreux sites historiques entre Durban, Johannesburg et Le Cap. Mais surtout, il se rend dans la cellule de Nelson Mandela à Robben Island. Ainsi se dessinent les premières lignes directrices de To Pimp a Butterfly, qui fait sans cesse référence au passé.

    Le tube King Kunta évoque à ce titre l’esclave fictif Kunta Kinte, héros du roman Racines d’Alex Haley et figure de la traite des Noirs. Selon le rappeur, King Kunta raconte “l’histoire de la lutte et la défense de ce en quoi nous croyons. Peu importe le nombre de barrières que nous devons abattre, il faut courir pour dire la vérité”.

    Les sonorités jazz, soul et funk se répondent tout au long de l’album. Elles embrassent ainsi l’histoire de la musique noire. Pour donner vie à ces différents genres, Kendrick Lamar a fait appel à son mentor et héros, patron du label Aftermath, Dr. Dre. En puisant dans les héritages de la musique afro-américaine, le rappeur de Compton propose un disque à contre-courant des tendances. Elle juge la suprématie de la trap d’Atlanta.

    Ainsi, le titre original du projet, To Pimp a Caterpillar, était un hommage à Tupac, l’une des plus grandes influences de Kendrick Lamar. Finalement, le titre change pour To Pimp a Butterfly, le papillon symbolisant la mue artistique et intellectuelle du rappeur.

    Kendrick Lamar – King Kunta (2015).

    La mutation d’un artiste

    Ironique, théâtral, chaotique, ironique et lugubre – souvent tout à la fois.” C’est ainsi que le média américain Pitchfork définit l’album lors de sa sortie en 2015. Toutefois, elle accorde la gracieuse note de 9.3/10 et classe le disque parmi les meilleures sorties du moment.

    Véritable œuvre cinématographique, To Pimp a Butterfly ressemble à une pièce de théâtre grandiose. Tout cela rassemble un nombre étonnant de personnages dans chacun de ses morceaux. Thundercat, Flying Lotus, Sounwave, Kamasi Washington, Boi-1da et même Pharrell Williams… Les collaborations sont nombreuses.

    Mais la portée monumentale de l’œuvre ne diminue en rien sa dimension intimiste. “Pour moi, faire un album est un processus spirituel”, déclarait le Californien à MTV. “Je dois vraiment me sentir connecté à la musique. Je dois me sentir connecté à ce dont je parle. Et cela peut vous épuiser parce que vous extrayez toutes ces émotions différentes”.

    De ce fait, le rappeur confie ses pensées les plus sombres sur le titre u, qui fut la chanson la plus difficile à enregistrer. Il le raconte au magazine Rolling Stone lors de la sortie du disque : “Il y a des moments très sombres là-dedans. Toutes mes insécurités, mon égoïsme et mes déceptions.” Son ingénieur du son ajoute que l’enregistrement s’est fait dans l’obscurité totale, dans un moment d’une grande émotion. Quelques mois plus tard, To Pimp a Butterfly brillait sous la lumière des projecteurs. Dix ans après sa sortie, il apporte toujours cette même luminosité dans les périodes les plus sombres.

    Kendrick Lamar et SZA, en concert à Paris La Défense Arena, les 15 et 16 juillet 2025.