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Damien Hirst
Né le 7 juin 1965 à Bristol, en Angleterre, Damien Hirst est une figure incontournable du monde de l’art contemporain, malgré ses débuts de carrière difficile. L’artiste a en effet été refusé au Leeds College of Art, puis de la Central Saint Martins School of Art, avant de finalement intégrer le Goldsmith’s College of Art entre 1986 et 1989, où ont également étudié le sculpteur Antony Gormley, le peintre et petit-fils du psychologue Sigmund Freud, Lucian Freud, ou encore le célèbre réalisateur Steve McQueen. Très médiatisées, ses œuvres sont l’objet de nombreuses controverses, et ce depuis ses débuts dans les années 1980 avec son travail sur des cadavres d’animaux et d’insectes. Membre fondateur des Young British Artists aux côtés des plasticiennes Tracey Emin et Sarah Lucas, ils se font connaître pour leur ouverture à tous les matériaux, leurs créations sensationnelles ainsi que leur attitude entrepreneuriale. L’artiste a également collaboré avec de nombreuses personnalités de milieux différents : avec le groupe de britpop Blur pour le clip The Country House (1995), avec le créateur de mode Virgil Abloh, avec le chanteur David Bowie sur une série de peintures, une pochette d’album polémique pour le rappeur canadien Drake, un jean pour la marque Levi’s, une collaboration avec la maison spécialisée dans le travail du verre Lalique.… Lauréat du prix Turner, en 1995, récompense annuelle organisée par la Tate Britain de Londres et décernée à un artiste contemporain de moins de 50 ans, Damien Hirst cumule les expositions sensationnelles du Palazzo Grassi de Venise à la fondation Cartier à Paris. En 2022, il fait ses premiers pas dans le monde en NFT avec son projet The Currency, qui sera accompagné d’une exposition de septembre à janvier 2023.
Les Young British Artists et le début de la reconnaissance
Élevé dans une famille peu intéressée par le monde de l’art, le jeune Damien Hirst ne s’intéresse que très peu aux études, même s’il se distingue dans le domaine des arts plastiques, en particulier grâce à ses dessins, inspirés des œuvres du peintre britannique Francis Bacon, connu pour déformer les corps dans ses peintures. Malgré le soutien de son professeur d’art, ses résultats scolaires ne lui permettent pas d’intégrer de prestigieuses écoles après le lycée ; il est en effet refusé au cursus principal du Leeds College of Art, où il parvient tout de même à accéder via une formation diplomate de deux ans. Il emménage par la suite à Londres et candidate à la Central Saint Martins School of Art and Design, seconde meilleure université dans les domaines de l’art, de la mode et de design, mais n’y sera pas accepté. Il intègre finalement le Goldsmith’s College of Art de 1986 à 1989, où il sera notamment formé par l’artiste peintre conceptuel et membre de la Royal Academy of Arts depuis 2006, Michael Craig-Martin.
Intéressé par le thème de la vie et de la mort, Damien Hirst travaille en parallèle de ses études dans une morgue, où il puisera l’inspiration pour ses nombreuses futures créations. Simultanément, l’artiste se forme au commissariat d’exposition, lui donnant une base de connaissance qui lui permettra de fonder le groupe des Young British Artists à la fin des années 1980, regroupant des artistes contemporains britanniques pour la plupart diplômés, comme lui, du Goldsmith’s College de Londres, tels que la sulfureuse Tracey Emin, du plasticien connu pour ses installations dérangeantes Marc Quinn, et l’artiste féministe Sarah Lucas. En 1988, Hirst organise la première exposition du groupe : intitulée Freeze, elle prend place dans un hangar situé dans les ports londoniens, et ne connaît pas de réelle répercussion. Cependant, un collectionneur d’art influent, Charles Saatchi, (qui avait notamment déjà exposé les immenses peintres de la seconde moitié du XXe siècle Andy Warhol, Anselm Kiefer ou Gerhard Richter) visite l’exposition et y achète même une œuvre du photographe britannique Matt Collishaw, persuadé que les jeunes artistes seront à l’origine d’une révolution artistique. C’est le début d’une collaboration prolifique entre Saatchi et les YBA, qui exposeront dans ses galeries dès 1992, contribuant à leur reconnaissance nationale.
Un artiste obsédé par la vie et la mort
Dès le début des années 1990, Damien Hirst développe une pratique artistique autour des cadavres d’animaux qu’il expose découpés ou entiers. C’est notamment le procédé qu’il emploie pour exposer le corps d’un requin blanc dans l’une de ses œuvres les plus célèbres en 1991, The Physical Impossibility of Death in the Mind of Someone Living, exposée à la Saatchi Gallery l’année suivante au sein d’une des nombreuses expositions consacrées aux Young British Artists (dont il fait alors toujours partie). Pour cette installation, il est nominé pour le prix Turner, qu’il ne gagne pas. Elle sera finalement vendue plusieurs millions d’euros, puis prêtée au Metropolitan Museum of Art de New York entre 2007 et 2010 ainsi qu’à la Tate Modern de Londres en 2012.
Par la suite, l’artiste va multiplier les installations réutilisant des cadavres d’animaux, agitant avec lui la controverse mais aussi, et surtout la curiosité : stoppant le processus de décomposition grâce au formol, il explore le thème du cycle de la vie, notamment dans son œuvre A Thousand years (1990), composée de deux cubes de plexiglas reliés avec, à l’intérieur, des asticots et une tête de vache sanguinolente. Ces premiers deviennent mouches et se nourrissent du cadavre, avant de finir électrocutés par la lampe électrique accrochée en haut de l’installation.
L’artiste a ainsi attisé de nombreuses protestations de la part de groupes de protectiondes animaux, en particulier pour son exposition In and Out of Love, au cours de laquelle il a emprisonné 9 000 papillons dans deux salles fermées, qui ont dû y vivre et mourir, et contre laquelle la RSPCA (Royal Society for the Prevention of Cruelty to Animals), fondation luttant contre la cruauté animale en Angleterre, s’est positionnée. Mais ces controverses n’entament pas pour autant sa crédibilité artistique, l’artiste se voyant en effet récompensé du prestigieux Prix Turner en 1995 pour son œuvre Mother and Child (Divided) (1993), présentant dans deux aquariums de formol une vache et son veau, séparés.
La reconnaissance internationale
Damien Hirst jouit ainsi d’une renommée mondiale, bien que sujette à débats. Artiste reconnu et collectionné, il va ainsi pouvoir accorder plus de fonds financiers à ses créations. Fort de son aura, ses œuvres se vendent en effet à des sommets inédits : le 21 juin 2007, un exemplaire de son armoire à pharmacie métallique Lullaby Spring (produite en série) est vendu 19,2 millions de dollars par la maison de vente Sotheby’s, s’inscrivant à l’époque comme la deuxième œuvre la plus chère jamais vendue du vivant d’un artiste, mais depuis largement dépassée par le tableau Portrait of an Artist (Pool with Two Figures) de David Hockney, vendu 90,3 millions de dollars en novembre 2018. Aujourd’hui, la première place est occupée par le Rabbit de Jeff Koons, adjugé en 2019 pour 91 millions d’euros, en première place du classement.
Si la galerie de Charles Saatchi ne représente plus les membres du Young British Artists depuis la fin de leur collaboration en 2003, l’artiste est aujourd’hui représenté par la galerie White Cube, incontournable dans le milieu de l’art contemporain, ainsi que par sa propre galerie, Newport Street Gallery, qu’il a ouverte en 2015. Depuis les années 2000, Damien Hirst enchaîne les expositions dans des instituions prestigieuses ; en solo à la Tate Modern de Londres en 2012, aux musée d’art contemporain de Vienne (2007) et de Sydney (2001), à la galerie Gagosian de New York et dans les collections du MoMA de 2007 à 2010, au Mori Art Museum de Tokyo (2013)… Ou encore au Palazzo Grassi et à la Punta della Dogana, les deux bâtiments abritant la collection Pinault, lors de la Biennale de Venise en 2017, pour laquelle il fait sensation en dévoilant une centaine d’œuvres inédites qu’il présente comme une collection d’artefacts vieux de mille ans découverts au large de l’Afrique de l’Est. Plus récemment, l’artiste a inauguré sa première exposition en solo dans la capitale française, à la Fondation Cartier de Paris, où il a présenté d’immenses toiles dépeignant des cerisiers en fleurs, à contre-courant de ses installations subversives.
Explorer les limites du marché de l’art
Au cours de sa carrière, Damien Hirst n’a eu de cesse d’explorer les limites du marché de l’art, dans lequel il se place d’ailleurs souvent en leader. D’abord par la création d’œuvre dont la production dépasse les millions de dollars, comme pour sa réplique en platine du crâne d’un homme décédé au XVIIIe siècle qu’il incruste de 8 601 aimants en 2007. Intitulée For the Love of God, l’œuvre est vendue pour 100 millions de dollars ; fait que le journaliste et critique d’art Ben Lewis contre-balance en suggérant dans son documentaire L’art s’explose que l’œuvre aurait en réalité été achetée par un groupe d’investisseurs, dont Hirst faisait partie, afin de préserver sa cote sur le marché… Un an plus tard, l’artiste court-circuite les règles qui régissent le marché en s’adressant directement à la maison de vente Sotheby’s, sans passer par l’intermédiaire des galeries, afin de mettre aux enchères ses œuvres. Contre toute attente, la vente est énorme succès et lui rapporte plus de 130 millions de dollars.
Plus récemment, en 2022, Damien Hirst s’intéresse au phénomène grandissant des NFT, “non fungible tokens” (jetons non fongibles) dont le procédé permet d’encrypter une œuvre dans un fichier numérique une signature qui atteste du caractère unique d’une œyvre. L’artiste creuse ainsi leur valeur au sein du marché à travers son The Currency et réalise 10 000 œuvres sur papiers, toutes associées à leur version numérique, et demande à ses acheteurs de n’en conserver qu’une, afin de détruire l’autre et, ainsi, juger quelle valeur, matérielle ou numérique, prévaut aujourd’hui en art.