Qobuz, la plateforme préférée des ingés son
À l’heure où les plateformes de streaming ont, sans conteste, conquis la planète, zoom sur l’une d’entre elles, unique en son genre, qui propose d’écouter de la musique dans une qualité similaire à celle écoutée en studio d’enregistrement et offre à ses utilisateurs des milliers de chroniques d’albums…
Par Chloé Sarraméa.
Sur la banquette arrière d’un taxi italien peu aimable, l’ingénieur en mastering de la légende de la techno de Détroit Carl Craig rumine ses regrets. Avec un accent du sud qui dissipe n’importe quelle autre discussion, le Toulousain dresse un réquisitoire sans concession : les gens passent leur temps à écouter de la merde. Pas forcément de la musique médiocre, dit-il, mais plutôt un son dont la qualité, s’il s’aventurait à l’entendre, lui ferait saigner les oreilles. Lui aussi, pourtant, compile l’ensemble des albums préférés (et pas seulement ceux qu’il a mixé) sur une plateforme : Qobuz, dont le nom interroge la majorité des jeunes de moins de 30 ans mais qui est bel et bien dans le game depuis quinze ans, date à laquelle un certain Yves Reisel, boss de label de musique classique, a fondé son propre site de téléchargement, bien avant l’avènement du streaming. Contrairement aux géants du business qui balancent des playlists lues sur des haut-parleurs grésillants, celle-ci distribue des albums en haute qualité à qui voudra bien écouter – avec un casque et en branchement filaire, c’est mieux.
Comme ce scientifique du son très radical, ceux qui sont entrés dans le monde magique, exigeant et (peut-être trop) impressionnant de Qobuz l’ont fait par boulimie et avidité irrépressible d’écouter de la bonne musique. Ils sont devenus ce que les boss de l’entreprise appellent “l’utilisateur Qobuz”, un consommateur qui, pour atteindre le Saint-Graal, doit faire au moins deux concessions : bannir les interfaces de Spotify ou Deezer blindées de nouvelles sorties labellisées “musique urbaine” et débourser environ 3€ de plus par mois pour accéder à toute la musique du monde, partout, tout le temps. Pourquoi, alors, l’ont-ils fait (presque) sans hésiter, clôturant parfois des playlists laborieusement constituées depuis des années ? Pour la résolution sonore, qui, avec une définition 24 bits, permet de dévorer des discographies intégrales comme si on les possédait toutes en CD ou qu’on les écoutait en studio d’enregistrement – concrètement, à l’écoute du dernier coffret de trois disques de Miles Davis paru la semaine dernière (That’s What Happened 1982-1985: The Bootleg Series, Vol.7, Columbia – Legacy), on est propulsé dans le public du live joué par la légende en 1983 au Théâtre Saint Denis de Montréal.
Hormis le son d’une qualité irréprochable, on vient surtout chercher, sur la plateforme, une éditorialisation de son contenu. Car dans le marché de la musique, où des millions de morceaux en format MP3 sont à portée de main et ce dans la plupart des pays, on manque cruellement de direction… voire même de prise de position. Que trouve-t-on chez Apple Music qu’on ne retrouvera pas, concrètement, chez Amazon ou Deezer ? Pas grand chose. Si le choix des utilisateurs s’établit moins sur le prix des abonnements que le design de l’interface, faute de différence notable, ils ont accès, sur Qobuz, à des textes qui racontent l’histoire de la musique. D’une annonce de la mort d’un artiste en passant par le rachat d’un label par une major, une liste de cent albums de jazz cultes ou même le making off d’un album mythique : l’utilisateur est guidé, informé et initié (les équipes de la plateforme élisent et mettent en avant certains premiers ou deuxièmes albums d’artistes émergents). Et s’ils peuvent également retrouver les sempiternelles playlists à écouter pour faire son repassage, son jogging ou recevoir ses potes autour d’un barbecue le dimanche, Qobuz défend l’artisanat numérique, un univers digital qui, selon son Head of Music, Marc Zisman, ressemble à une “boutique dans le monde du supermarché”. Un peu présomptueux, dit comme ça, mais pas vraiment étonnant : Qobuz, c’est certain, a le sens de la formule.