Rencontre avec Lucas Bravo : “Je ne suis pas un séducteur…”
Frenchie trop parfait d’Emily in Paris et pilote malhabile de la comédie Ticket to Paradise, Lucas Bravo, 35 ans, a accepté de répondre sans tabou aux questions de Numéro alors qu’il incarnait un comptable timide dans le long-métrage d’Anthony Fabian, Une robe pour Mrs. Harris (2022), diffusé depuis peu sur Netflix.
propos recueillis par Alexis Thibault.
Interview by Alexis Thibault.
Feel good movie à la sauce mode, Une robe pour Mrs. Harris (2022), revendique fièrement son identité : une œuvre adorable entre le téléfilm sucré de Noël et une fable Disney kitsch. Le film connaît aujourd’hui une seconde vie grâce à sa diffusion sur Netflix et figure dans le classement des long-métrages les plus vus sur la plateforme.
On y suit les aventures d’une femme de ménage veuve obsédée par les créations de Christian Dior qui rejoint le Paris des années 50 pour s’offrir la robe de ses rêves… Adaptation de l’ouvrage éponyme de Paul Galico [1958] le long-métrage d’Anthony Fabian s’offre un vestiaire vintage prêté par la maison de luxe, Lambert Wilson en aristocrate galant, Isabelle Huppert en directrice aigre-chic et Lucas Bravo en comptable timoré amateur de Sartre. Frenchie irrésistible d’Emily in Paris et pilote malhabile de la comédie Ticket to Paradise (2022) aux côtés de Julia Roberts, Lucas Bravo, 35 ans, a accepté de répondre sans détour aux questions de Numéro dans un lieu fort à propos : une élégante suite de l’hôtel Bristol à Paris.
L’interview de Lucas Bravo, l’acteur à l’affiche Une robe pour Mrs. Harris, diffusé sur Netflix
Numéro: Dans Une robe pour Mrs. Harris, vous incarnez André Fauvel, un comptable timide et un peu gauche incollable sur l’œuvre de Jean-Paul Sartre. Un rôle qui tranche radicalement avec votre personnage dans la série Emily in Paris (2020)…
Lucas Bravo: Il est assez difficile de livrer une performance lorsqu’on incarne un personnage proche de notre propre identité. Et il y a beaucoup de moi en André Fauvel… L’homme que j’incarne dans la série Emily in Paris, Gabriel, est une sorte de bourreau des coeurs, pour reprendre les termes des journalistes. Mais le “voisin sexy” n’est pas du tout ce qui me correspond. J’ai été élevé par une féministe qui m’a toujours répété : “Les mecs sont tous des porcs !”. Donc j’ai plus souvent évité de déranger que je ne suis monté au front avec des phrases de dragueur… Un rôle à contre-emploi reste ce qu’il y a de plus intéressant. Récemment, dans Ticket to Paradise, j’ai par exemple eu l’occasion de montrer une nouvelle facette pleine de second degré.
Êtes-vous satisfait de votre prestation dans le film d’Anthony Fabian?
C’était mon premier film à l’étranger. J’ai donc débarqué avec mon syndrome de l’imposteur en me demandant s’ils avaient vraiment fait le bon choix en m’intégrant au casting entre Isabelle Huppert et Lambert Wilson. Quand je regarde le film aujourd’hui je pense que j’aurais vraiment pu apporter davantage de nuances à beaucoup de scènes, être plus juste dans mon jeu. Il y a deux ans, au moment du tournage, tout ce que je pouvais faire c’était être le plus authentique possible.
« Les choses peuvent repartir aussi vite qu’elles sont arrivées alors autant profiter du trajet… » Lucas Bravo
Devons-nous vraiment parler d’un “syndrome de l’imposteur” ?
Ce n’est que très récemment que j’ai été capable de mettre des mots dessus. C’est quelque chose qui se délite avec le temps, des traumatismes de l’enfance avec lesquels il faut faire la paix. J’ai toujours eu la sensation de ne pas avoir assez bossé alors que j’ai exercé tous les métiers du monde : j’ai travaillé dans les rayons d’un supermarché, dans la restauration, j’ai été barman, j’ai été videur et j’ai enchaîné tous les petits boulots de saisonniers. Malgré tout, j’avais encore l’impression de ne pas être “dans le dur”, comme s’il fallait encore faire des efforts pour mériter ce qui m’arrive aujourd’hui. Je ne sais pas vraiment d’où ça vient. Cela mérite sans doute une petite psychanalyse…
Pensez-vous avoir progressé depuis le tournage ?
Je l’espère en tout cas ! (Rires) Ce serait présomptueux de ma part de l’affirmer. En tout cas je pense avoir le recul nécéssaire pour me dire que j’aurais pu faire autrement. Lorsque j’étais plus jeune, je ne souhaitais pas être façonné par une formation, je voulais rester “brut” comme beaucoup d’acteurs avant moi. Force est de constater que j’avais besoin d’un cadrage ! L’Actors Factory [une école de cinéma dans le 11e arrondissement de Paris] m’a apporté beaucoup de technique, et m’a permis d’être moins critique vis à vis de chacune de mes prestations. Là-bas on fait de la TransDanse, de la méditation peinture… on se dépollue. La première année est une sorte de thérapie loin des ambiances ultra compétitives que l’on peut trouver dans d’autres établissements. Ce n’est qu’en deuxième année que j’ai appris à appréhender un texte, à gérer les imprévus de casting ou des plateaux de tournage…
Si vous organisiez un dîner pour votre simple plaisir quelles personnalités du cinéma inviteriez-vous ?
Je crois que je dinerais avec le réalisateur David Fincher, j’adore son cinéma. Quelques-uns de mes amis, dont l’actrice Lily Collins [héroïne de la série Emily in Paris] ont eu la chance de travailler avec lui et, d’après eux, c’est un homme fascinant. J’inviterais également Robert Pattinson, j’aime beaucoup sa prestation dans le film Good Times des frères Safdie. Puis Sofia Coppola, Alejandro González Iñárritu et Xavier Dolan qui prend souvent le risque de raconter des choses différentes. Je ne vous cache pas que ce serait une tablée interminable.
Quelle a été votre plus grande désillusion en intégrant le milieu du cinéma ?
J’ai mis du temps à commencer à en vivre donc je conserve encore cette dimension magique. Comme lors de mon premier cours-métrage ou j’étais émerveillé par à peu près tout : “Oh une caméra ! Oh un micro !” Je conserve encore ce regard d’enfant. Il y a beaucoup d’ego dans cette industrie, il faut donc réussir à trouver sa place. Même si la série Emily in Paris me donne beaucoup de visibilité, j’ai encore tout à apprendre, je ne suis qu’un petit moineau. Nous n’avons pas toujours la chance d’être sur un plateau empli de bienveillance… George Clooney et Julia Roberts sont exceptionnels sur ce point par exemple : sur le plateau de Ticket to Paradise, leur objectif était de mettre les autres dans la lumière. Par exemple, s’il fallait se mettre en retrait sur une scène pour le bien d’un autre personnage, ils n’hésitaient pas une seconde, quitte à changer leurs propres répliques.
Êtes-vous plus heureux que vous ne l’avez jamais été auparavant ?
Je ne pense pas que le bonheur soit quantifiable. En tout cas, si je suis heureux aujourd’hui, c’est parce que j’arrive enfin à prendre les choses à la légère, à vivre de mon métier et à travailler avec des gens que j’ai admiré pendant des années. Jusqu’à présent, j’attendais le moment où tout allait s’écrouler. Les choses peuvent repartir aussi vite qu’elles sont arrivées alors autant profiter du trajet…
Une robe pour Mrs. Harris (2022) d’Anthony Fabian avec Lucas Bravo, Isabelle Huppert et Lambert Wilson, disponible sur Netflix.
Mrs. Harris Goes to Paris is a fashionable feel-good movie that proudly claims its identity – that of an adorable cinematic work at the crossroads between a sweet Christmas movie and a kitschy Disney tale. It unfolds the story of a pretentious old widow obsessed with Christian Dior’s designs, who travels to the Paris of the 1950s to buy the dress of her dreams… Adapted from Paul Galico’s novel of the same name [1958], Anthony Fabian’s new movie treats itself with a vintage wardrobe loaned by the luxury house, Lambert Wilson as a gallant aristocrat, Isabelle Huppert as a bitter-chic manager, and Lucas Bravo as a shy Sartre-loving accountant. The 34-year-old actor, who played the all- too-perfect Frenchie in Emily in Paris, and the clumsy pilot in the comedy Ticket to Paradise, has agreed to answer Numéro’s questions in a quite appropriate setting – an elegant suite at Le Bristol Hotel in Paris.
Numéro: In Mrs. Harris Goes to Paris, you play the role of a shy and slightly awkward accountant named André Fauvel, whose expertise on Jean-Paul Sartre’s work is undeniable. A sharp contrast with your previous character in the series Emily in Paris [2020] …
Lucas Bravo: It is quite difficult to deliver a performance when you play a character close to your own identity. I feel close to André Fauvel in many ways… Gabriel, the man I play in the series Emily in Paris, is kind of a heartbreaker, to use the words of the journalists. But the “sexy neighbor” is completely different from me. I was raised by a feminist who would always tell me that “all guys are pigs”! So, I have more often avoided bothering people than gone upfront with flirty phrases… Playing against type remains the most interesting thing though. In Ticket to Paradise for instance, I recently had the opportunity to show a new side of my acting full of irony.
Are you satisfied with your performance in Anthony Fabian’s film?
It is the first film I have made abroad. I came in with my impostor syndrome wondering if they had really made the right choice in a cast including Isabelle Huppert and Lambert Wilson. Watching the film today, I have realized that I could have really brought more nuance to many scenes, or been more accurate in my acting. Two years ago, when I was shooting, all I could do was to be as authentic as possible.
Should we really talk of an “impostor syndrome”?
It is only very recently that I have been able to put words onto it. It is something that has unraveled over time, childhood traumas that you have to make peace with. I have always had the feeling that I wasn’t working hard enough, even though I have done all the jobs in the world. I used to work in supermarkets, restaurants, I have been a barman, a bouncer, and done all the summer jobs. Despite all that, I still had the impression that I wasn’t “cutting to the chase”, as if I still had to try harder to deserve what I have today. I don’t really know where it comes from. It probably deserves some psychoanalysis…
Do you think you have made progress since the shooting?
I hope so! [Laughs]. It would be presumptuous of me to say so. I guess I have the hindsight needed to admit that I could have done it differently. When I was younger, I didn’t want to be shaped by any kind of training, I wanted to remain “raw” like many actors before me. I had to recognize that I needed a framework though! The Actors Factory [a Parisian acting school in the 11th arrondissement] taught me a lot about the technique and allowed me to be less self-critical about my performances. Over there we did some TransDance, or painting meditation… we got rid of everything that no longer served us. The first year is a kind of therapy, far from the ultra-competitive atmosphere that you can find in other schools. It was only in the second year that I learnt how to handle a text, how to deal with the unexpected during a casting or on a film set…
If you were hosting a dinner party just for your own pleasure, which personalities from the film industry would you invite?
I guess I would like to have dinner with director David Fincher, since I love his work. Some of my friends, including actress Lily Collins [the protagonist in Emily in Paris], have had the chance to work with him and they all say that he is a fascinating man. I would also invite Robert Pattinson. I really loved his performance in the Safdie brothers’ film Good Times. Then Sofia Coppola, Alejandro González Iñárritu, and Xavier Dolan, who often takes the risk of telling different things. I must say that it would be an endless dinner table.
What was your biggest disillusionment when you entered the film industry?
It took me a long time to start making a living out of it, so I still feel the magic of it right now. Just like when I was amazed by everything in my first short film – “Oh a camera! Oh a microphone!” I still have that childlike look. There is a lot of ego in this industry, so you have to find a place of your own. Even if the Emily in Paris series gives me a lot of visibility, I still have everything to learn, I’m just a little sparrow. We are not always lucky enough to be on a set filled with kindness… For instance, George Clooney and Julia Roberts are exceptional in this respect. On the set of Ticket to Paradise, their goal was to put other actors in the spotlight. If they had to take a back seat for the sake of another character in a specific scene, they didn’t hesitate for a second, even if it meant changing their own lines.
Are you happier than you have ever been before?
I don’t think happiness is quantifiable. In any case, if I’m happy today, it is because I’m finally able to take things lightly, to make a living from my work, and to work with people I have admired for years. Until now, I was waiting for the moment when everything would fall apart. Things can go back as quickly as they came so I might as well enjoy the ride…
Mrs. Harris Goes to Paris directed by Anthony Fabian, with Lucas Bravo, Isabelle Huppert, and Lambert Wilson. Released on November 2nd.