“La mode est plus punk que l’art !” rencontre avec l’artiste Mathias Kiss
Le week-end dernier, le constructeur de luxe français DS Automobiles, présentait Every Piece is a Masterpiece, une expérience immersive au sein du 35/37, le centre culturel et créatif parisien de Dover Street Market. Pour l’occasion, DS a donné carte blanche à l’artiste français Mathias Kiss, dandy truculent et gouailleur chic qui transforme l’habitacle de la voiture en élégant salon. Rencontre.
Propos recueillis par Alexis Thibault.
Du 10 au 13 novembre, le constructeur de luxe français DS Automobiles proposait une expérience immersive au sein du 35/37, le centre culturel et créatif parisien de Dover Street Market, situé rue des Francs-Bourgeois. DS a donné carte blanche à Mathias Kiss, dandy truculent et gouailleur chic qui a fait du miroir et des faux ciels sa signature. À travers l’exposition improbable Every Piece is a Masterpiece, l’artiste français repense l’automobile 100% électrique et détourne ses composants pour ériger des sculptures monumentales. Dans un salon de science-fiction, moquette rouge sur le sol et mousse acoustique en relief sur les murs, Mathias Kiss dispose, sur des socles dorés à la feuille d’aluminium, quatre sièges blancs de la DS 3 – dont l’un en faux marbre peint à la main – tandis que douze enceintes issues du système hi-fi Focal de la voiture ornent les murs tels des tableaux en désordre et crachent une création sonore de Jonathan Fitoussi. Au plafond…un gigantesque miroir. Mathias Kiss transforme ici l’habitacle de l’automobile en élégant salon d’intérieur entre héritage classique et vision futuriste. À l’extérieur, dans la cour du 35/37 une version “dénudée” et sacralisée du moteur de la voiture, présenté en majesté et orné de feuille d’or telle une sculpture antique… Lors d’un entretien à bâtons rompus au milieu d’une valse de régisseurs, Mathias Kiss se livre sans tabou et évoque tour à tour ses rêves d’enfant et son statut au sein du monde impitoyable de l’art.
Numéro : Avez-vous un rapport spécial à votre reflet pour être autant fasciné par les miroirs ?
Mathias Kiss: Ce n’est pas du tout une fascination. C’est plutôt que je suis issu de ce que l’on pourrait appeler “l’échec scolaire” et que mon CAP s’intitule “peintre vitrier”. C’est une sorte de déterminisme de la banlieue. Quand j’était petit, je ne faisais pas de skateboard je découpais des miroirs. Et puisque j’ai toujours eu un problème avec l’ordre et le cadre j’ai décidé de les froisser. Mes miroirs ne sont pas faits pour se voir mais pour être éclatés. Lorsque j’ai débuté, je manquais cruellement de confiance en moi, j’avais donc besoin de me réfugier derrière des discours un peu pompeux pour me donner une constance.
Quand vous êtes-vous considéré pour la première fois comme un artiste et non plus comme un ouvrier ?
Si vous demandez à un artisan de réaliser une corniche, il la réalisera parfaitement, de façon bête et méchante. La corniche marque le périmètre d’une pièce, c’est un carré qui vous enferme. Moi, j’ai décidé de sortir du cadre et de proposer des corniches en désordre. Les premières fois, les ouvriers m’ont regardé avec de gros yeux en disant : “Il faut prévenir la cliente, il y a un type complètement fou qui fait n’importe quoi dans son appartement !” Mon œuvre est l’équivalent d’une photo floue ou surexposée dont la démarche est purement artistique et enfin reconnue comme tel. Je me demande bien ce que les gens ont pu penser de Juergen Teller avant de véritablement reconnaître la qualité de son travail…
DS Automobiles n’avait donc qu’une seule possibilité : vous donner carte blanche !
À priori, l’industrie automobile représente tout ce que je déteste, je n’ai même pas mon permis de conduire… Mais j’ai finalement retrouvé beaucoup du monde de l’artisanat en visitant les ateliers de DS. Nous parlions vraiment la même langue. J’ai donc proposé d’installer une sorte de papier peint acoustique avec un soubassement qui smurfe [une référence à la danse hip-hop] et ils m’ont dit “Euh… OK !”. Je voulais créer un salon contemporain qui emploie les codes décoratifs en désordre et peut séduire aussi bien votre grand-père parce qu’il y a de la dorure, du faux marbre et du savoir-faire, que votre nièce qui aura l’impression d’être devant une borne d’arcade. J’ai même demandé à ce que les mômes puissent monter sur les sièges de l’installation. Je ne veux pas sacraliser mon travail comme dans cette forme d’art contemporain qui ne parle qu’à elle-même.
Ressentez-vous un besoin irrépressible de séduire le maximum de monde ?
Quand on se moque d’un banquier à la BNP du coin, qui a fait un BTS de comptabilité, on se fout aussi du peintre en bâtiment que j’ai été. À l’époque, dans les années 80, il fallait être graphiste ou banquier. Moi j’étais peintre en bâtiment : je n’avais ni la noblesse du bois qui fait fantasmer la bourgeoise ni la dimension technique de l’électricien. J’ai peint des murs de prisons et des cages d’escalier. Ça sent mauvais, ça fait de la poussière et on a l’impression que n’importe qui pourrait le faire. Ce mépris de classe me fait encore trembler lorsque j’en parle. C’est difficile de ne pas avoir de pairs vous savez. Même si je le respecte énormément, je ne me reconnais pas du tout en Philippe Starck par exemple. Je ne dessine pas des lampes éditées chez Rochebobois. J’aime le chantier, les grosses équipes et mettre les mains dans le cambouis. Je crois que je me sens plus proche du milieu de la mode que du milieu de l’art. On y trouve des gens qui viennent de partout. La mode est plus punk que l’art contemporain !
Quel rêve de gosse n’avez-vous pas encore réalisé ?
J’ai longtemps rénové des monuments historiques. Lorsque je travaillais au Louvre, je voyais des corniches droites de 10 000 Km de long et je me demandais pourquoi on ne pouvait pas les faire danser au moins une fois. Je m’emmerdais profondément. J’étais le barbouilleur avec un bob sur la tête et la différence entre un artiste et un barbouilleur c’est l’exigence et le professionnalisme. Moi j’avais la rage, et je suis devenu ultra perfectionniste. Les dorures et les faux ciels sont souvent faits dans un cadre un peu ringard et conservateur, je me suis libéré de ce carcan technique et esthétique. Mon rêve de gosse est devenu un rêve d’adulte : réaliser le faux ciel d’un théâtre à l’italienne comme le théâtre du Châtelet en m’inspirant des Oiseaux de George Braque ou des œuvres de Cy Twombly.