Quelle superstar a rejoint Yardland, le festival des cultures hip-hop ?
Pensé comme véritable prototype de festival, Yardland revient cette année pour une seconde édition, les 6 et 7 juillet à l’Hippodrome de Paris – Vincennes. Une programmation volcanique pour un événement qui célèbre les cultures hip-hop et afro-caribéennes. Une star internationale vient de rejoindre sa programmation explosive…
par Alexis Thibault.
Yardland, un nouveau festival qui célèbre les “cultures populaires” ?
Les 1er et 2 juillet 2023, les fondateurs de Yard inauguraient la première édition du festival Yardland qu’ils lançaient alors en collaboration avec les équipes expérimentées de We Love Green. Près de 30 000 festivaliers étaient attendus au Parc de Choisy (Val-de-Marne) pour célébrer “les cultures populaires”. À ce propos, la programmation musicale était essentiellement composée d’artistes “français, européens, antillais, caribéens et africains”. Au programme : le producteur et DJ américain Metro Boomin, les musiciens nigérians Ayra Starr, Omah Lay, et Oxlade ou encore l’illustre rappeur français Kaaris qui devait interpréter Or Noir (2013) considéré comme l’un des albums les plus importants du rap francophone.
Des concerts explosifs qui n’ont finalement pas eu lieu… car au même moment, des émeutes éclatent dans toute la France après la mort de Nahel Merzouk, abattu par balle à bout portant par un policier évoquant la légitime défense après un refus d’obtempérer. Une version contredite par les vidéos des témoins et les dires des passagers. Par mesure de sécurité, Yardland sera donc annulé.
Mais le festival n’a pas dit son dernier mot et revient bel et bien le 6 et 7 juillet 2024 à l’Hippodrome de Paris – Vincennes. Cette année on retrouvera Gunna, la rappeuse belge Shay, récemment interviewée par Numéro, mais aussi Amaarae, Ateyaba, 1plike140, 13Block, H JeuneCrack ou encore Kay the Prodigy, jeune artiste en pleine ascension. Car Yardland questionne justement la représentation des musiciens et des festivaliers racisés, individus susceptibles d’être assignés à un groupe minoritaire et d’être victime de discriminations.
Et c’est Rema le chanteur – et rappeur – nigérian Rema qui vient tout juste de rejoindre la programmation. Découvert en 2019 sur la plateforme Soundcloud par D’Prince, l’un des membres du label Mavin Records, Rema défend dans la foulée son premier EP (sobrement intitulé Rema ) et les titres Dumebi, Iron Man et Corny font immédiatement de lui une star. Son album Rave & Roses, sorti en 2022, confirme son statut de figure incontournable de la trap et de l’afrobeat. Il sera notamment adoubé par le président Barack Obama qui intégrera ses morceaux à sa playlist personnelle.
L’événement se présente ainsi comme la suite logique des Flammes, nouvelle cérémonie inédite en France qui, au mois de mai 2023, récompensait les artistes issus du rap et des cultures dites “populaires”. “Yardland incarne un nouveau modèle d’expérience culturelle intégralement dédié aux passions de notre communauté, précisent les organisateurs. Plus qu’un festival de musique, nous l’avons pensé comme un prototype. Le prototype d’une nouvelle terre de célébration réunissant tous les piliers des cultures populaires : l’art, la mode, la food culture, l’engagement associatif et la musique.”
Transformer l’expérience du festival pour attirer un autre public
“En festival, si vous êtes noir ou arabe, vous ne vous sentez pas vraiment chez vous…” assène calmement Yoan Prat, cofondateur de l’agence Yard qui organise notamment des soirées hip-hop. À ses côtés, Tom Brunet ne bronche pas, validant silencieusement l’assertion de son associé. Les deux hommes n’ont aucune intention d’étriller les organisateurs de festivals français, ils répondaient simplement à la question suivante : pourquoi ces événements attirent-ils un public majoritairement “blanc”. En d’autres termes, le public des festivals de musique français manque-il cruellement de diversité ethno-culturelle ? Une question peu abordée dans l’espace médiatique alors que bon nombre d’organisateurs se la posent bel et bien en coulisse. Souvent uniquement pour des raisons d’image…
Comment drainer un public différent ? Faut-il transformer l’expérience globale, envisager une nouvelle localisation ou transformer intégralement la programmation artistique ? “Un festival, c’est une sorte de communauté, on y croise ceux qui nous ressemblent, poursuit Yoan Prat. Quand vous ne vous identifiez à personne, vous vous sentez un peu seul. Et puis, entre nous, de nombreux jeunes de banlieue n’ont jamais eu l’occasion d’y participer.”
“C’est la première fois que Yard propose un événement en journée, précise Tom Brunet. On veut attirer le public issu de la banlieue parisienne donc nous travaillons main dans la main avec des associations et nous leur imposons plusieurs règles : la parité, un âge minimum [pas moins de 19 ans] et la présence d’un référent sur place.” Les ambitions de Yardland rappellent forcément celles de l’Afropunk Fest de Paris qui, en 2019, programmait de nombreux artistes afro-américains (Solange Knowles, Raphael Saadiq, Masego, Janelle Monáe) et réunissait alors un public principalement – voire exclusivement – composé de fêtards afrodescendants. Une célébration des cultures noires imaginée en 2005, à Brooklyn, par des militants passionnés de punk. Mais pour certains, l’événement renversait alors le problème initial, perçu comme un rassemblement communautaire en dépit de ses précautions en matière d’inclusivité…
Portrait-robot : à quoi ressemble le festivalier français ?
Selon le bilan annuel du site Tous les Festivals, les cent événements les plus importants de l’Hexagone ont réuni plus de sept millions de participants en 2022. Mais à quoi ressemble le festivalier type ? Pour de nombreux Parisiens, il s’agit d’un jeune homme en short et chemise multicolore déboutonnée, paillettes biodégradables éparpillées sur les pommettes, lunettes de soleil sur le nez qui pose les doigts en V sur trois quarts des photographies. Pourtant, selon Aurélien Djakouane, sociologue interrogé par France Culture, le festivalier français type reste une femme de 48 ans, diplômée, active et plutôt issue des classes moyennes et supérieures. Mais il insiste “il faut imaginer un public composite, une diversité d’individus qui se déploient en fonction de l’offre festivalière.” Tout serait donc une question d’offre. Car le public d’un festival varie logiquement en fonction de la proposition musicale, entraînant des différences radicales entre les fosses de Solidays à Paris, du Festival Interceltique de Lorient et des Nuits de Fourvières à Lyon…
Et c’est ici que la question de la programmation survient. Jazz, hip-hop, pop, metal ou musique classique… les différents genres musicaux proposés façonnent inévitablement le public… en théorie. “De nombreux festivals programment des rappeurs parce que les autres genres musicaux fonctionnent moins, remarque un producteur anonyme. Il y avait Young Thug et PNL… à Rock en Seine. [respectivement en 2015 et 2018 ndlr] Font-ils cela pour attirer un public de banlieue ? Je ne sais pas vraiment. Le rap fonctionne donc on file de gros cachets et on remplit la jauge. Ça s’arrête là. Ils renient leur ADN.” La présence de rappeurs a-t-elle engendré davantage de diversité ? Pas vraiment. “La question du rap est intéressante, mais ce n’est pas avec Orelsan, Vald et Lomepal que vous changerez les visages dans le public, conclut-il. Lorsque l’on voit le prix des places de festival, il est difficile d’avoir autre chose que des bandes d’école de commerce surexcitées à l’idée de faire trois pogos…”
Les organisateurs désireux de proposer une alternative plus inclusive se heurtent à différents problèmes. Outre les cachets de plus en plus faramineux, de nombreux artistes signent des contrats d’exclusivité avec d’autres manifestations ce qui les empêchent alors de multiplier les apparitions. Parmi eux, les jeunes rappeurs en vogue susceptible de faire venir un public différent. Un festival reste aussi une expérience très couteuse qui exclut malheureusement les plus démunis : “Ne pas manquer le dernier RER, prendre le taxi, se restaurer sur place… les gens ne veulent plus payer 90 euros en plus de leur billet juste pour voir les quatre artistes qu’ils apprécient”, résume Tom Brunet. Il évoque dans la foulée un autre fait social afférent aux festivals, la création préalable d’un groupe conséquent : “Contrairement à un concert, il est préférable de construire un groupe pour se rendre en festival. Le placement est libre et les jauges sont rarement complètes donc on peut s’y rendre à cinq voire à dix. Mais tout le monde ne peut pas se le permettre… Et lorsque plusieurs personnes annulent leur venue, finalement, c’est tout le groupe qui abandonne.”
Communication et parité : d’autres épreuves difficiles
Une meilleure accessibilité, une proposition culturelle adéquate… et une meilleure communication. Telle serait la recette pour des festivals plus inclusifs. Mais la communication sur les réseaux sociaux va souvent à l’encontre de la diversité : les campagnes de publicité ciblent les classes moyennes et les classes moyennes supérieures très localisées…De son côté, Yardland a choisi de mettre l’accent sur la francophonie et joue la carte de la proximité. Et les billets vendus indiquent pour le moment un moyenne d’âge de 22 ans. “Personne ne peut back it up le ventre vide, c’est prouvé, lit-on sur le site officiel du festival. Et comme les Yardies ne faiblissent pas, le food court est l’endroit idéal pour recharger ses batteries […] No judgement si tu mélanges allocos et pizza.” Aligner sa programmation en fonction des méthodes de consommation des plus jeunes n’est pas chose aisée, d’autant que booker des stars est de plus en plus difficile.
Ainsi, penser son line up à l’aune des statistiques du streaming est l’erreur à ne pas commettre : ce n’est pas parce qu’un artiste explose les records sur Spotify qu’il est parfaitement identifié par le public. S’ils savent à peu près à quoi s’attendre, l’équipe de Yard se satisfait d’ores et déjà de la parité enregistrant une participation féminine à hauteur de 54%. “Cette fois, c’était chez les artistes que la question de la parité était la plus délicate, regrette Yoan Prat. Lorsque vous subissez trois annulations d’artistes successives, votre programmation est totalement déséquilibrée. Et chez les femmes racisées, il n’y a malheureusement pas assez d’artistes populaires. Ce sont soit des énormes stars au cachet inabordable comme Aya Nakamura, Shay, Tems, Summer Walker ou Megan Thee Stallion, soit des jeunes artistes émergentes. Il n’y a pas vraiment d’entre-deux.”
Question sociale ou purement culturelle, la diversité dans les festivals français nécessite une longue métamorphose. Il en va de la responsabilité des organisateurs, des artistes mais aussi des élus locaux qui devront rendre ces événements accessibles au plus grand nombre. Le plus dur reste d’oser aborder le sujet… Pour le moment, sans chiffre à la clé, ce n’est qu’une affaire de ressenti de la part de certains festivaliers.
Festival Yardland, du 6 au 7 juillet à l’Hippodrome de Paris – Vincennes.