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10 Grace Jones

L’interview culte de Grace Jones : “On sniffait comme d’autres boivent du café”

Cinéma

30 ans après avoir incarné une tueuse dans “Dangereusement vôtre” (1985), la disco queen sulfureuse a refusé d’apparaître dans le prochain James Bond, prévu pour février 2020. En revanche, elle imaginera la programmation du prochain Meltdown Festival, grand évènement musical londonien organisé en juin prochain. Retour sur l’interview culte de Grace Jones pour Numéro.

L’interview culte de Grace Jones : “On sniffait comme d’autres boivent du café” L’interview culte de Grace Jones : “On sniffait comme d’autres boivent du café”

Près de 35 ans après son rôle de meurtrière dans Dangereusement vôtre, 14e opus de la saga James Bond, Grace Jones devait retrouver le célèbre espion dans le prochain long-métrage de Cary Joji Fukunaga, Bond 25, prévu pour février 2020. Mais à 71 ans, la chanteuse et mannequin jamaïcaine ne peut se contenter d’un ridicule caméo et de quelques lignes de dialogue. Elle a donc refusé l’invitation. À propos de lignes… Grace Jones se confiait il y a quelques années à Numéro évoquant son accession au statut d’icône androgyne  sulfureuse des années 80. Retour sur l’interview choc de l’indomptable diva.

 

Numéro : Pourquoi avoir changé votre patronyme de Mendoza à Jones ?

 

Grace Jones : Je me suis toujours appelée Jones. Les fausses rumeurs se répandent sur le Net à une telle vitesse qu’on finit par ne plus faire la différence entre info et intox. Nombreux sont ceux qui dépeignent Andy Warhol comme un personnage machiavélique et manipulateur.

 

Est-ce le souvenir que vous gardez de lui ?

 

Il était tout le contraire, avenant et ouvert, toujours très généreux, du moins avec moi. On passait notre temps à écumer les galeries et les boîtes de nuit, et lorsqu’il se cloîtrait à la Factory, il s’assurait qu’il y ait toujours du monde qui papillonne autour de lui. Nous étions d’insatiables curieux passant des heures, bouche bée et yeux écarquillés, à nous émerveiller de tout ce qui nous entourait: “Regarde ceci, regarde cela, Andy, c’est trop génial ! ”

 

 

J’ai passé des instants cocasses avec Yves Saint Laurent. Je me souviens d’un concert particulièrement gratiné au Palace, où j’avais pris un bain de foule avant de grimper sur le balcon où je me suis retrouvée complètement nue. 

 

 

On raconte que la piste du Studio 54 ressemblait à s’y méprendre à une piste de ski couverte de poudreuse.

 

À cette époque, ce n’était pas tant une question de quantité que de qualité. La consommation de cocaïne était beaucoup plus festive et sociale. On sniffait comme d’autres boivent du café. Personne ne s’en cachait. Pour preuve : au Studio 54, il y avait une énorme cuillère à coke suspendue au-dessus de la piste. Aujourd’hui, c’est nettement moins convivial, les gens disparaissent aux toilettes toutes les cinq minutes.

 

Le lynchage médiatique réservé aux Amy Winehouse et autres divas défoncées est-il justifié ?

 

Plus les substances illicites seront stigmatisées, plus les géants pharmaceutiques vendront d’anxiolytiques et d’euphorisants. Ce sont eux qui tirent leur épingle du jeu. Beaucoup de mes amis ont fait des overdoses suite à la consommation de produits délivrés sur ordonnance. Cette chasse aux sorcières orchestrée par la presse me paraît donc purement et simplement hypocrite.

Extrait de “Dangereusement Vôtre” – 1985

Etes-vous de l’avis de feu Yves Saint Laurent qui préconisait la drogue comme “un ingrédient essentiel au processus créatif”?

 

J’ai passé des instants cocasses avec Yves, il est vrai. Je me souviens d’un concert particulièrement gratiné au Palace, où j’avais pris un bain de foule avant de grimper sur le balcon où je me suis retrouvée complètement nue. Les gens avaient déchiré ma robe et littéralement lacéré ma peau. Heureusement, quelqu’un a balancé des gaz lacrymogènes pour calmer la foule, le temps pour moi de regagner les loges. Yves, qui m’y attendait, s’est empressé de me couvrir la poitrine de sa ceinture de smoking, me nouant dans la foulée le foulard de Loulou de la Falaise autour de la taille. Et de me propulser sur scène en s’exclamant : “Vas-y ! File !” Je vous laisse imaginer la scène.

 

Planiez-vous toujours lors de vos prestations ?

 

Une seule fois, mais ce fut un flop. Je n’ai pas suivi de formation lyrique, et chanter me demande un effort surhumain. Autant vous dire qu’avec la gorge desséchée et les gencives anesthésiées, cela ne facilite pas la tâche.

 

 

Je n’ai pas attendu Jean-Paul Goude pour me donner un genre…

 

 

Sous vos airs de diva dominatrice, ne seriez-vous pas en réalité une brave fille qui ne rêve que de pantoufles, de plateaux-télé et de point de croix ?

 

 

Ce n’est pas à moi de dire si je suis une prima donna à la ville comme à la scène. Peut-être alors ferais-je mieux de m’adresser à cette malheureuse contrôleuse de l’Eurostar… Mon Dieu ! quelle histoire ! Pour faire court : je voyageais en première, soudain, cette pauvre fille s’entête à vouloir me déclasser à mi-parcours. Allez savoir pourquoi. J’ai exigé de descendre du train, on ne m’y a pas du tout forcée, contrairement à ce que vous avez pu entendre. Eurostar s’est servi de ce malencontreux incident pour faire couler de l’encre à mes dépens. Le coup de pub à un million d’euros. A se demander si ce n’était pas prémédité.

 

Vous êtes-vous déjà sentie prisonnière de votre image?

 

Absolument pas. Ce serait comme se sentir séquestré dans une maison qu’on a soi-même bâtie. J’ai construit mon image de toutes pièces, j’ai pris un malin plaisir à le faire et je suis très fière du résultat, merci. Aujourd’hui, mon apparence physique est un temple dont je suis la gardienne.

 

Jean-Paul Goude en est-il l’architecte?

 

Je n’ai pas attendu Jean-Paul pour me donner un genre : j’avais déjà trois albums à mon actif  avant de le rencontrer. Richard Bernstein, Antonio Lopez, Keith Haring et Andy Warhol s’étaient penchés sur mon cas bien avant lui. 

 

Avez-vous jamais été victime de discrimination raciale au cours de votre carrière?

 

Quelle drôle de question. Face aux réactions de certaines personnes, il m’arrive de m’interroger. Etant de nature plutôt indulgente, je me dis qu’elles se sont levées du mauvais pied, ou qu’ils n’ont pas baisé depuis un moment, bien avant de mettre leur animosité sur le compte d’une quelconque ségrégation.

 

 

Pourquoi fricotez-vous toujours avec des armoires à glace aux prénoms bien virils comme Dolph, Sven-Ole et Atila?

 

Fricoter ? Je vous signale que les relations auxquelles vous faites allusion ont toutes été sérieuses. Je ne choisis pas mes partenaires à la taille de leurs biceps, mais plutôt à celle de leur… personnalité.

 

Les gringalets ne vous trouvent-ils pas un brin intimidante?

 

Je le répète : l’amour n’est pas quelque chose qui se quantifie au kilo. On n’est pas à la foire à la choucroute.

 

Selon vous, Arnold Schwarzenegger est-il plus convaincant en Conan le barbare ou en gouverneur républicain?

 

Arnold est avant tout un très bon ami. Il serait présomptueux pour moi de porter un jugement sur ses ambitions politiques.

 

Quel souvenir souhaitez-vous laisser de vous?

 

Quel odieux personnage vous faites ! Je ne suis pas encore morte que déjà vous gravez mon épitaphe. Merde alors ! J’aimerais, comme sans doute la plupart des gens, qu’on se souvienne de moi comme de quelqu’un qui rendait les gens heureux. Qui soutenait sa famille et ses proches. En tant qu’artiste, je souhaiterais que mon travail perdure et qu’il continue à transporter, à inspirer et à amuser les gens bien après que je sois partie.